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« Les fonctions sociales sont des fictions sociales »

J’abuse de cette citation de Bourdieu qui me laisse toujours sur le même sentiment de joie fétichiste.

Les rôles sociaux que les systèmes sociaux répartissent selon des règles tacites mais simples, qui sont les règles de la représentation dans les oligarchies parlementaires, partagent dans le champ social avec la même autorité les temps de parole et les temps d’écoute, selon les exigences d’un organigramme hiérarchique, donnant à la parole une base large et une direction ascendante pour l’écoute, et une position de compétence pointue et une direction descendante pour l’énonciation. On imagine sans difficultés le rôle de l’église dans cette disposition. Elle n’était pas contenue dans les commandements du christ (qui ne manquait pourtant pas d’autorité!).

Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain,  je ressens un besoin atavique de dénoncer cette profonde injustice ou asymétrie symptomatique du rapport des classes de parole, tout autant que de la structure du rapport des « tempéraments » et des « caractères », et de la façon dont ces substances de l’être humain « moderne » s’accommodent avec la « personnalité », substance tout aussi métaphysique que sont devenues les deux précédentes avec les renoncements (ou les interdits adressés) au matérialisme.

J’ai rédigé pour l’UPAvignon un résumé de ma vision historique, psychiatrique, psychanalytique, et en un mot psychologique de ces rapports. Cette obsession me conduit à la formulation « diagrammatique » (pour reprendre le terme de Guattari) d’une relation du rapport des substances psychiques citées ci-dessus  avec les rapports de classe dans le jeu social des nombres et des quantités d’individus qu’on appelle la politique.

Je sais que certains (et peut-être même beaucoup), s’attachent à distinguer « le social du politique », en conditionnant le premier à la considération du nombre et en restreignant le second à l’exercice du pouvoir.

J’avais moi-même tenté de le faire dans mes écrits de 2002 :

 « Donc trois plans de refoulement interchangeables, c’est à dire qui ne sont pas des " niveaux ", mais qui renvoient systématiquement les uns aux autres sans créer de phénomène de feuilletage ou de sédimentation, trois qui ensemble, peuvent fonctionner à la fois comme moteurs du refoulement et comme plan d’inscription des éléments refoulés :
La phénoménologie qui refoule le social dans le plan de la dépression: Idéal de domination.
Apogée: 1895-1940. C'était la doctrine de l'époché et de la simplicité naturelle.
La psychanalyse qui refoule le politique sur le plan de l’angoisse: Idéal d'exploitation.
Apogée: 1940-1985. C'était la doctrine du refoulement.
Le positivisme cognitiviste qui refoule l’histoire vers les plans du délire: Idéal de manipulation.
Apogée: 1985-2030? C'est encore la doctrine de la norme et du politiquement correct. »

Voir le site http://melchisedek.free.fr/amphibologie/ à la rubrique « résumés » chapitre « hypothèse ».

 Au bout du compte je me demande si cette coquetterie intellectuelle ne risque pas de coûter cher à la conscience critique, qui se voit ainsi démunie de toute possibilité de penser la confusion réelle qui lie ces termes en une sorte de plan tri séquent bien difficile à penser topologiquement.
Je réfléchis pour l’instant la question à la lumière de ce que Philippe Mengue dit des les trois ordres pascaliens dans « La philosophie au piège de l’histoire. » (Ed La différence,  2004) :
Si ces plans d’existence sont totalement autonomes et indifférents, ils ne doivent pas se couper.
Mais surtout, s’il y avait trois domaines inconciliables de l’expérience vécue, il faudrait pour les faire tenir comme condition d’existence d’un être humain, un savant nouage comme Lacan a su en donner de savantes lectures et indications. La psychanalyse en général, et sa psychanalyse en particulier, ont d’ailleurs su faire cohabiter ces caractères des affections (pitié, charité chez Pascal, attention bienveillante chez Freud), des intellections (esprit pascalien, théorie diagrammatiques ou topologiques de l’inconscient), et des perceptions (le corps pour Pascal, métaphysiques du réel chez Freud et géométries de la réalité chez Lacan), en un nouage savant et « borroméen ».

Précisément la question me semble tourner autour du concept imaginaire de l’espace géométrique : Comment peut-on « imaginer » l’espace? Comment « un sujet » peut-il « s’imaginer » l’ « espace » dans lequel il « s’imagine » cet « espace »? Cette sorte de redondance qui va de l’espace à l’image et de l’image à l’espace, temps de répétition d’une même préoccupation redondante qui est celle du « sujet », nous indique quelque chose de cet empêchement qu’il y aurait a concevoir trois dimensions de l’espace, pour quiconque voudrait donner du sens aux choses qui lui « tombent » dessus, c’est-à-dire qui lui arrivent. L’heccéité de l’évènement pour reprendre le vocabulaire de Deleuze, ce qui « arrive » à un sujet sous le regard d’un « Autre » sujet. Et cet arrivage lui-même est une chute, une « sub-jection ». La subjectivité est toujours le résultat d’un évènement, c’est-à-dire d’un « phénomène temporel », ce qui est un pléonasme.

Faut-il chercher à « nouer » des ordres inconciliables ou à « dénouer » la mixité tierce et la contingence de l’évènement (au travers d’un projet psychanalytique par exemple), ou se garder de prêter à cet « imaginaire » des vertus pour « s’orienter dans le monde »? Faut-il à tout prix « savoir où on en est » si ce savoir lui-même doit se payer d’une méthode hasardeuse et « coûteuse », qui est celle de la répétition de la forme à chaque étage de cette curieuse habitation? Faut-il être au-dessus des choses?

Voilà des questions tout à fait métaphysiques qui sont mises en mouvement par toutes les visions ternaires (voir laguioles et couteaux suisses) du monde et de l’univers : peut-on se  produire une subjectivité avec le moteur à trois temps de la métaphysique RSI de Lacan (quelque fût le mépris de Lacan à l’endroit de la métaphysique en tant que telle? Faut-il en rajouter ou revenir au biface de la «lamelle» d’être, qui empêche toute « déterritorialisation » au prix d’un abandon de la réalité, du plancher des vaches?

Ces évocations sont difficiles. D’aucun (ou d’aucune) les diront fumeuses.
C’est parce que l’être parlant est une fumée du réel que les choses sont ainsi.
Auprès de qui la renommée de l’être parlant en tant que tel  peut-elle se manifester si ce n’est auprès d’êtres parlants « autres »? D’ « Autres parlants »! On imagine mal un « autre » ou un « Autre » non parlant ….  S’agit-il ici de communication? Il s’agit du banquet de la parole. Qui est aussi un baquet de la parole, point de convergence des fluides  et des magnétismes dont elle est constituée. Elle se consomme et se consume. Elle est elle-même une fumée. Amour qu’on adresse au savoir et à l’autorité. Holocauste des biens et des êtres en régimes animiste et totémique, holocauste des biens et des services en régimes analogique et rationnel, pour reprendre les catégories de Philippe Descola.

Il faut sacrifier. Même les plus cyniques sacrifient. Sauf peut-être les sceptiques, qui sacrifient le plaisir de la croyance. Le temps de parole est un temps sacré. La parole « collective » est sacrifiée sur l’autel de la collectivité. Les temps de débat, de colloque, de discussion sont des temps d’hystérie collective.

Nous avons tout à gagner à ritualiser ces temps, mais pas sur le mode universitaire sélectif, au service du signifiant confiant et planqué, plutôt sur le mode du rite contemplatif, mi-schizo-mi-évitant (éloge de la fuite), mi-dépendant-mi-détaché (voir ici mon « tableau des intempérances »).

Le temps de parole en société est un temps consacré, religieux, créateur de valeur et créateur de magie, même lorsqu’il s’agit des formes les plus achevées de la raison. Il a donc ses prêtres, ses bedeaux, ses bonnes sœurs, ses gourous et ses chamans, ses paroissiens, ses victimes expiatoires, ses processions, sa confession freudienne, ses envoûtements et ses transes, son effet de travail sur la croyance (opinion), …

On peut donc « lire » sur le tableau des psychopathologies les penchants et les caractères que prennent tout aussi bien les collectifs de parole lorsqu’il entre en « fusion » pour reprendre le mot de Sartre.
Ils se disposent « tout naturellement » en fonction bien-sûr de la structure des participants (mais la présence des participants n’est-elle pas largement déterminée par leur structure?), des « places » de paroles qui sont conditionnées par les rapports structurels, les nombres et donc aussi les « forces » en présence, et aussi ce que Bourdieu aurait appelé « les attentes du champ » (bien que ce soit un concept plus magique ou plus mystique).

Quoiqu’il en soit, il y a des formes consacrées et liturgiques qui ont pour tropisme de revenir toujours à la même place
(définition lacanienne du réel) :

-         Il y a la forte personnalité du parano de service qui impose une direction au groupe, son idée force, son absolue certitude, même si elle est nuancée des plus aimables formules de politesse et de tolérance.

-         Il y a ses « pervers de lisière qui soutiennent le chef dont ils savent qu’ils obtiendront tous les bénéfices et à moindre coût sans avoir à risquer leur peau dans l’opération totale, ce qui leur permet de défouler sur tous les autres à volonté, leurs pulsions sadiques sans craindre aucune rétorsion.

-         Il y a les chantres mythomanes romantiques qui savent organiser en récit la geste du héraut qu’ils soutiennent sous condition tacite des mêmes avantages. Mais leur perversion n’est que celle d’écrire (ou de dire) le roman du groupe.

-         Il y a les hystériques, le cœur des vierges qui se pâment devant la grandeur des sentiments qui président à l’opération magistrale et collective de la représentation dominante. Elles (ou ils) favorisent tous les modes de la mise en scène et de la représentation des sentiments (je ne dis pas de l’expression).

-         Il y a les jouisseurs matérialistes plus ou moins cyniques et plus ou moins lâches qui assurent le ravitaillement en thèmes et en sujets, ne sont jamais en manque de questions de circonstance et du sentiment de la nécessité de l’objet et du traitement de l’objet, quel qu’il soit. Mais ils s’en foutent.

-         Il y a les baroques maniérés qui mettent l’ambiance en apportant toujours un peu à contre temps, un ton un peu décalé au discours en cours, réalisant ainsi la légère dissonance harmonique qui fait le bon tempérament du clavier.

-         Il y a les schizos ou le schizo qui parle peu mais à bon escient et dont la relative discrétion oriente la totalité sens parce qu’elle en indique le fond, le début ou la fin, en les confondant, en les rejoignant. Les premiers seront les derniers.

-         Il y a là aussi autour de lui des pervers de lisières, heureux de pouvoir se vautrer dans le malheur qui fait entendre à tous la vérité des vérités, mais sans risquer d’y perdre plus que ce que leur jouissance masochique met en péril, c’est-à-dire tout, mais au bénéfice de quel délice!

-         Il y a les contemplatifs. C’est ceux que je préfère. Leur seul défaut, c’est de ne pas beaucoup contribuer au débat. Leur garantie, c’est qu’ils n’agressent jamais personne et ne sont jamais nuisibles (pas facilement bénéfiques non plus).

-         Il y a les officiants, les prêtres, les maquerelles, les organisateurs du sens peu diserts sur les contenus, les détenteurs du savoir des pratiques et du savoir sur les pratiques, jeunes ou vieux, l’expérience n’a est pas un rôle plus déterminant sur cette position que sur les autres. Ce sont en principe les maîtres et les détenteurs du « rite » mais ils peuvent aussi bien en être les objets.

-         Il y a au registre de l’obsession, les moines réguliers et serviles, les obsessionnels scholastiques, les universitaires consciencieux et autres fonctionnaires appliqués qui s’occupent de recouvrir d’un voile de rigueur le conflit des facultés ou des chapelles.

-         Il y a les idéologues idéalistes plus ou moins rigides (actuellement les écolos par exemple) ou plus ou moins interprétants (comme moi peut-être?) qui assurent parce qu’ils y croient, la garantie de bonne formule et de bien fondé argumenté du système dans lequel ils décident que tous vivent et fonctionnent.

-         Et nous sommes revenus au point de départ. J’ai suivi dans le sens des aiguilles d’une montre, le cadre du clavier des intempérances que je rappelle ici 

 

Voyure

Collectio

Psy-rigid

Anorexie

Idéalisme

Add abstr

Interpret

Procédure

Sadisme

Evitmnt

Obsession

Mentisme

Doutes

ascétique

Sensitif

Persécut

Paranoïa

Revendic

Fétiche

Idée Fixe

Contraphb

TOCs

Dépressio

Intuition

Paraphrèn

Erotoman

Psychopat

Dependce

Psychasth

Tics

Automat

Mélancol

BDA

PHC

Jalousie

Enthousia

Ritomn

Lymphat

Apragma

Léthargie

 

Frénésie

Hypochdr

Sanguin

Mythomn

Détachmt

Athymor

Dysmorph

Deperso

Manie

Panique

Instab

Histrion

Rational

Contempl

Hébéphrn

Paranoïd

Influence

Hypoman

Incontin

Phobies

Pithiatis

Mysticism

Indiff

Schizophr

Cataton

Discord

Bilieux

Simul

conversio

Hystérie

Théâtral

Masoch

Ordalie

Abandon

Add sbst

Matérialis

Boulimie

Maniérism

Ganser

Exhib

avec

Rouge :

Délire, Angoisse, Dépression : C’est le problème.

Orange :

Pathologies aigües en référence à l’antiquité.

Jaune :

Le fond de commerce de la psychiatrie du XIXème siècle.

Bleu :

Les tempéraments (côtés) et les personnalités (angles).

Vert :

Le fond de commerce de la psychiatrie du XXème siècle.

Rose Violet :

Les perversions telles qu’elles ont été conçues depuis Esquirol.

Blanc :

Les modalités d’expression bien vues au XXIème siècle.

 Ce sont des caractères, les caractères de l’écriture du parler commun et du parler en commun.

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