Tableaux
Introductions


Textes Psychologiques

Sur l'anthropologie structurale de Philippe Descola.

Logique subjective


Textes Politques
Accueil

Concepts anthropologiques analysés et classés par Philippe Descola:

Analogisme

Discontinuités Morales

Naturalisme

Discontinuités Physiques

 

         Continuités Physiques

Animisme

Continuités Morales

Totémisme

Je propose d’illustrer les correspondances conceptuelles entre les quatre structures psychopathologique telles que je les ai présentées dans mon clavier des intempérances et la quadripartition qui résulte des rapports structurels de civilisation tels qu’ils apparaissent dans la présentation en tableau de Philippe Descola dans «Par delà nature et culture» et dans l’exposition «la fabrique des images» au Quai Branly :

Si on la présente selon ma topologie orientée, on constate que les deux catégories les plus « modernes » d’organisation de civilisation (analogisme et naturalisme) correspondent avec la «discontinuité morale», position qui consisterait si j’ai bien compris à distinguer les choses de l’esprit des choses du monde, et que l’on pourrait alors mettre en parallèle avec le concept de « déterritorialisation » chez Guattari. C’est d’ailleurs à cet endroit qu’il est intéressant ou du moins pratique pour l’esprit, et pour le sentiment géométrique, de placer dans le haut du tableau ces deux modalités de la pensée : les continuités morales qui consistent à projeter l’esprit sur toute chose, vont avec des religions en définitive beaucoup plus «terre-à-terre» que ne l’est la vision globalement monothéiste. (J’imagine que P. Descola ne sera pas tout à fait d’accord avec cette simplification eu égard à la largeur du champ anthropologique sur lequel son étude et son inspiration a prélevé ces modèles de la pensée, même dans leur partie la plus «moderne», mais je risque cette simplification abusive pour la clarté du schéma et donc pour ce qu’elle facilite au moins chez moi, le schématisme de l’entendement de ces choses là …

Je m’excuse donc de présenter d’emblée (comme je l’ai fait à l’endroit des catégories kantiennes) une anatomie comparée de théories dans laquelle je me permets des libertés avec les auteurs dont je m’inspire, en particulier pour ce qui concerne la présentation dans l’espace (ou du moins dans le plan du papier) des catégories de la pensée qu’ils mettent en correspondances. Mais il faut dire que l’intérêt de la démarche me semble reposer essentiellement sur cette géométrie, comme j’ai pu le développer jadis dans mon chapitre intitulé « topolitologie » (voir au chapitre «résumé» de mon ancienne « critique … »).

Cela dit, on pourrait aussi prendre au sérieux la logique profonde  qui soutient l’idée que la «discontinuité morale» comme concept, correspond au fonctionnement mental d’une civilisation qui ne reconnait qu’un seul dieu : l’esprit par définition s’il est détaché des réalités physique ne peut être situé que dans l’au-delà des sphères de la vie des corps, et donc ne peut se projeter que dans l’idée d’un point de vue global, surplombant, omniscient …

A quoi correspondra alors l’autre orientation du tableau, celle que je dispose horizontalement, et qui oppose chez P. Descola les discontinuités et les continuités des «physicalités»?

Peut-être faudrait-il s’interroger sur la consistance du concept lui-même de la chose «physique» à repenser bien-sûr ici selon la tradition philosophique comme «nature» : idée d’une nature continue ou «partout» à opposer à une idée de nature interrompue partout par les mots et les signes, autant dire l’opposition nature et culture : d’un côté des civilisations qui voient la nature partout, nature spontanée et dominante. De l’autre côté des visions du monde comme dominé par la culture et les signes sinon les concepts. Alors bien-sûr une telle conception pourra être critiquée au nom de la présence du fait culturel chez les groupes humains totémique et naturaliste : c’est là que l’idée d’opposer continuité et discontinuité présente tout son intérêt : la discontinuité d’une substance n’en signifie pas l’absence. Si il parait donc artificiel d’opposer ici comme une tradition anthropologique l’avait déjà fait, les «culturaliste» aux «naturalistes», je reprendrai par contre à mon compte ce qui a structuré mon tableau depuis ma propre réflexion sur la psychopathologie : l’opposition rites et mythes : il y a des sociétés, comme des individus, qui attachent plus d’importance aux mise en formes textuelles ou récités du grand phénomène de la nature et de ses habitants, et il y des groupes ou des personnes, qui attachent plus d’importance aux pratiques gestuelles, géométriques, et qui s’efforcent de séparer les sens des choses dans des pratiques territoriales et temporelles, laissant au texte ou au récit et à la parole une fonction de remplissage a-signifiant, comme aurait dit Guattari. Là aussi, une telle opposition ne soutiendrait absolument pas que les sociétés du mythe soient exemptes de pratiques rituelles, mais simplement que celles-ci n’utilisent pas ces rites pour illustrer leur propre position dans le grand continuum de la nature, et inversement que les groupements ritualisés soient exempt d’une référence au récit ou au mythe, mais plutôt qu’il n’en fasse pas la condition de leur organisation sociale, référent celle-là à des pratiques de signes infra ou ultra-langagières.

Je serai donc pour ma part assez tenté de formuler l’équation là aussi assez caricaturale mais il faut bien se représenter le monde, qui consiste à poser :

Discontinuités physiques <=> Rites,
Continuités physiques <=> Mythes.

C’est du moins comme cela que j’avais conçu cette géométrie conceptuelle avant de prendre connaissance des théories de P. Descola.

Posons du moins ces correspondances pour rejoindre sous une même anthropologie les structures d’un fonctionnement psychique individuel et les structures des fonctionnements de sociétés dégagées de leur désordre naturel par un ethnologue.

Ensuite il se pose, au-delà du problème d’une correspondance pathologies individuelles-formes sociales, la question du politique qui est toute autre : le psychologique, le social ou le social « anthropologique », c’est-à-dire le social à l’état de nature, et puis, incontournable et incontestable du moins dans l’occident positif, le politique se présente et se pose aussi comme structure, structure de l’être ensemble et structure de la formation individuelle de l’opinion, le politique quelque soit son degré d’inexistence, comme dit Philippe Mengue, le politique insiste dans les systèmes de la raison (discontinuités morales) à faire l’ordre des objets et des pensées, à faire la loi.

Et c’est là, je l’entends bien que la critique va fondre et s’abattre : les catégories de la pensée individuelle et collective sont donc tenues de s’appuyer dans l’univers de la raison sur un ensemble théorique des possibilités de systèmes ou de régimes de fonctionnement collectifs et économiques.

On pourrait penser pour simplifier que les régimes de fonctionnement politiques correspondent au stade en apparence tardif de l’économie, que les animistes et les totémistes ne font fonctionner que des économies très rudimentaires, quasiment confondues avec le réel, alors que les analogistes et les naturalistes ont développé des systèmes de représentation qui nécessite toute une technique d’écriture pour la monnaie, les valeurs, les échanges de biens (et d’êtres). Cependant j’imagine (et l’ethnologue en jugera) que les « primitifs » qui fonctionnent dans les « continuités physiques » n’en sont pas moins attachés à un système de valeurs quantifiables et inscriptibles.

Quoiqu’il en soit, les correspondances politiques que ces tableaux de la structure ontologique laissent apparaître ne manqueront pas de choquer le bon sens positif de l’homme pragmatique et rationnel : la monarchie comme paradigme de la rationalité, l’oligarchie consultative comme paradigme de la structure analogique d’enchevêtrement des domaines du monde, l’oligarchie représentative comme paradigme de l’organisation totémique, la démocratie utopiste comme paradigme de l’animisme, lesquels quatre domaines ontologique sont aussi je le redis, mais je n’ai au fond que ça à dire, à mettre en relations directe et réciproque avec les quatre champs de la psychopathologie structurelle s’il en reste une : dans l’ordre ci-dessus évoqué la paranoïa, la névrose obsessionnelle, l’hystérie, et la schizophrénie.

 Modalité
Analogisme – Obsession
Oligarchie consultative et panoptique.

Discontinuités Morales

Quantité
Naturalisme – Paranoïa
Monarchie.

Discontinuités Physiques

 

Continuités Physiques

Qualité
Animisme – Schizophrénie
Démocratie.

Continuités Morales

Relation
Totémisme – Hystérie
Oligarchie représentative.

 Tâchons donc de faire les liens pouvant conforter cette « intuition » à l’étage de chacun des quatre domaines concernés :

1) Paranoïa, naturalisme, et monarchie, règne kantien de la quantité: On comprend bien que cette croyance en l’esprit comme propre à l’être humain que réalise le « naturalisme », constitue par définition la paranoïa c’est-à-dire le délire en secteur sur lequel s’est appuyé le monde rationaliste dans sa version positive, c’est-à-dire sa phase la plus récente, à partir de laquelle la pensée du groupe, repart aussi sec en direction des pensées « magiques », religieuses sectaires ou mystiques, preuve que ce schéma n’illustre pas une évolution mais un cycle, une sorte d’éternel retour aux origines et aux conditions de possibilité de la pensée, quelque soit son sujet ou quels que soient ses sujets. Monarchie de la race humaine sur la planète, pensée d’une gouvernance au service du seul souverain, telle est bien la vision des « modernes », même si l’histoire la plus ancienne commence d’une certaine façon en tout lieu avec des royaumes. La plus grande quantité de puissance doit refléter ou se refléter dans la souveraineté d’un seul, dont au fond chacun ne peut que se prévaloir. 

2) Obsession, analogisme, espace de la modalité  et oligarchie consultative :  « consultative » dans le meilleur des cas mais on pourrait aussi dire « de surveillance » puisque c’est là le champ d’exercice de ce que Foucault a théorisé comme le système « panoptique » : établir ou rétablir un ordre entre les êtres et entre les objets, ranger, surveiller, classer selon une méthode, faire des cases, maîtriser par un savoir, les rapports dont nous prive le divers kantien de l’intuition : modalité de la pensée de la modalité.
Guattari a placé à cet endroit ce qu’il appelait les rhizomes ou les phyllums mécaniques abstraits, expressions rendant possible une vision peut-être plus neutre de fonctionnements à la fois matériels et symboliques explicitant ou parcourant les réseaux de la vie et du sens, tels que l’obsessionnel et ses corrélats institutionnels cherchent en permanence à garantir, par la méthode de l’analogie et de la comparaison qui seule peut guider l’être dans le dédale de l’existence, dans le doute permanent où il se trouve à l’endroit de tout repère fixe, car là aussi, il y a un rapport d’opposition  diamétrale et d’incompossibilité avec la structure totémique ou hystérique de l’être.
Au passage, je sais que l’expression « structure de l’être » pourrait choquer par exemple un philosophe, mais je l’emploie cependant faute de mieux et parce que ne pas faire référence à sa structure, s’il existe, me semblerait être de l’ordre du refoulement. Et par cette attitude je suis d’ailleurs moi-même probablement impliqué dans le tourbillon ou plutôt dans la turbulence analogique.

 3) Hystérie, totémisme, catégorie de la relation, et oligarchie représentative viennent donc en opposition à l’autre coin du carré : ce qu’on appelle tous les jours par euphémisme « démocratie » représentative. L’hystérique souffre de réminiscences qui sont là pour la confirmer dans une identité presque délirante : je suis bien la fille de mon père, la preuve en est que j’en porte les marques, que j’en expie les fautes, que j’en souffre les douleurs. Père, mère, parents, garants, amants, c’est bien là une continuité des corps et des affects qui me permet de me désigner comme être et qui me permet de parler à la hauteur des vérités du monde. Je possède avant tout l’art de la relation, je sens tous les affects et je diffuse les miens dans une contagion qui n’a pas de limites. Je représente l’être de mon rêve lignager comme il me représente dans le chaos, seule référence pour penser, lui seul avec moi, et moi seule avec lui. Je vote et j’appelle à voter ce seul représentant possible, pour que le groupe soit « le » groupe dans un monde qui soit « le » monde …

4) Terminons par le nœud du problème, en même temps qu’il situe un élément structurel banal, ni plus ni moins important que les autres, ni plus ni moins « réalisable », peut-être même ni plus ni moins souhaitable, bien que je ne puisse me retenir de l’appeler de mes vœux : Schizophrénie, animisme, et démocratie, à placer au quadrant kantien de la qualité. Certes on peut par une sorte d’élimination poser que seule cette position permet d’être attentif à la qualité des rapports, des êtres, et des objets. Le schizophrène est bien celui qui donne à tout contexte sa dimension, qui peut être attentif et juste à l’endroit de toute donnée, même s’il donne l’impression de s’en tenir loin, s’il se campe souvent sur des positions en apparence contemplatives. Reconnaitre de l’esprit et du sens à toute chose, c’est aussi se condamner à devoir se comporter envers toute chose dans un rapport de reconnaissance et de respect. Bien que cela n’exclu pas des rapports asymétrique si la nature le commande (discontinuités physiques), des rapports de consommation par exemple, mais toujours dans une sorte de reconnaissance d’égale qualité morale. On comprend qu’un tel dispositif, heureusement ou malheureusement pas si fréquent chez les individus, aille spontanément dans le sens de la démocratie, ce qui explique qu’elle soit si rare, et en définitive l’objet d’une certaine crainte : un monde d’égalité serait un monde de folie, du moins lorsqu’on le considère à partir de la raison.

Cette disposition selon deux axes de continuités ou discontinuités physiques et morales m’ouvre un certain nombre de perspectives, même au sens cavalier du terme, en ce sens qu’elle me permet de reconsidérer le champ sémantique du concept de déterritorialisation chez Deleuze et Guattari, et surtout qu’elle permet de réfléchir d’une façon peut-être plus universelle encore l’opposition portant sur l’axe horizontal dans la cartographie schizo-analytique de Félix Guattari qui était et qui reste difficile à comprendre entre la « logique des ensembles discursifs » et les « non discursifs ». Il y est de toute façon question du rapport au langage et on peut imaginer alors, que la façon de concevoir comme continu ou comme rompu le monde physique ou la « nature » va déterminer quelque chose de la fonction du langage lui-même.

Haut de la page

Accueil