Qu'il
faut débattre sans modération. Ou
« De la machine enfin en question.»
t
qu'il faut à toute force trouver des espaces de débat sans modération dans la
République, même s'il n'y en a pas, et même si on ne ressent pas pour celle-ci,
tous les sentiments de respect et de reconnaissance qu'une certaine vision de
l'histoire et des rapports des générations commande depuis les espaces
transcendantaux de la morale, à nos petits "moi"(s) physiquement
isolés et métaphysiquement abandonniques. Cela présuppose sans doute une
présomption contestable et coupable, mais c'est aussi la marque ou l'expression
d'un dépit et d'un désespoir assumés pour ce qui me concerne à l'endroit de mon
époque et de mon monde social. Il
s'agit par là de connaître un élément
structurel profond du psychisme aussi bien que du rapport de société :
l'élément du refoulement incompressible à l'œuvre dans l'oligarchie libérale
autour de la pratique et de la question du débat.
epuis
1996 à parti des réformes très nocives survenues dans le monde médical français
à la suite des lois dites Juppé, j'ai constaté et déploré en situation de
défense professionnelle corporatiste ("publique ") aussi bien que
dans le contexte de mes relations amicales personnelles, discussions d'opinion
et positions d'écoute et d'échanges symboliques ("privées"), que les
opinions allaient toujours dans le sens d'une revendication et d'une critique
véhémente des institutions dans les rapports "privés", et se
trouvaient tempérés de positions beaucoup plus conservatrices dés lors que l'on
était en contexte de représentation collective ("publique"). Il est
une évidence que le monde "publique" et le monde de
l'"opinion" sont des espaces où il convient par définition de
"faire attention à ce qu'on dit" par opposition à la sphère privée et
aux discussions de couloir ou de bistrot où l'intimité relative permet de
"se lâcher", et qu'il y là un ordre des choses peu contestable et
dont la banalité doit dans une large mesure être considérée comme
"saine" et "de bon aloi". Cependant
devant cette constatation et déplorant égoïstement les effets d'aliénation
auxquels cet état de chose me confinait, et sans doute pour des raisons de
pathologie personnelle, j'ai rapidement opté, et de façon aussi systématique
que possible, pour mon propre dispositif subjectif dans les rapports de
"discussion", de proposer à tout échange d'opinion soutenu dans la
sphère de l'amitié, la soumission de ces opinions réciproques à l'épreuve d'une
machinerie de débat dans laquelle ma personne ne soit pas dominante au delà de
sa propre initiative que je restreins toujours au maximum. Cette
constatation pour ne pas dire cette "réalisation" qui me tirait, pour
paraphraser Kant, d'un sommeil de naïvetés dogmatique comparable à celui de la
belle au bois dormant, m'a alors laissé sur le sentiment de l'impossibilité
presque absolue d'évènements ou de moments collectifs de type ou de nature
objectivement démocratique et « débattante ». Cela
engage bien sûr une fois de plus le débat sur la démocratie comme réalité dans
le discours "libéral" et comme euphémisme dans une vision plus
sociocritique ...
u
bout d'un certain temps j'ai compris que les luttes syndicales dans ma sphère
professionnelle comme d'ailleurs toutes les autres, étaient dans tous les cas
et quelle que soit la sincérité des acteurs, l'expression d'intérêts personnels
conscients ou inconscients et de passions de pouvoir de représentation, et donc
inéluctablement vouées à la reproduction des structures de domination en place. J'ai
donc opté pour renoncer à la proposition de débats enregistrés aux
"camarades" et "amis" qui n'y voyaient qu'une mise en
danger de leur positions respectives au sein des piteuses institutions
militantes dont la corporation écartelée des médecins avait su se doter et qui
sévissent toujours sur la profession, la laissant dans l'état de décrépitude où
elle se trouve en France (et sans doute ailleurs). J'ai
alors volontairement déplacé mon horizon de proposition et peut-être de
projection vers la "société civile", proposant systématiquement aux plus
"engagées" mais pas forcément aux plus « enragées » des mes
connaissances, et notamment à celles qui s'activaient dans le champ du
"débat" et/ou de la chose démocratique, de mettre en oeuvre et en
pratique des espaces de débat aussi "libre" que possible: c'est
pourquoi j'ai commencé par une proposition sans doute un peu folle qui
consistait à débattre "sans thème", ce qui a laissé ces premiers
participants sur un manque exprimé. Je ne les cite bien-sûr pas mais ils se
reconnaitront aisément et encore une fois je les remercie de leur abnégation et
de leur crédit.
n
quoi cette machine (qui ne s'illustre guère que par la précision de son
dysfonctionnement) peut-elle être de nature à émanciper quoique ce soit dans un
seul ou dans le moindre de ses participants? C'est une question qu'on me renvoi
souvent. Est-ce vraiment sa vocation ou son "idéal"? Je ne sais le
dire. Il me semble que c'est plutôt un trait de fonctionnement machinique tel
que l'ont dégagé Deleuze et Guattari, un mécanisme de fonctionnement potentiel
("quelque chose de ça pourrait marcher"), de telle sorte que la
situation d'empêchement où je me trouve rendu par l'instrument me laisse paradoxalement mais logiquement
d'autant plus convaincu de la nécessitée (et de la joie) qu'il y a à insister sur
la voie de cette idée folle et manifestement comme l’était l'"impérialisme"
(d'occident) pour Mao, "condamné par l'histoire". J'ai
donc développé la machine avec des moments de bonheur dont je remercie encore
les acteurs, mais sur la pente d'une méfiance tendancielle à la hauteur que ma
propre psychopathologie, il n'y a d'ailleurs pas de différence: En
interrogeant mes excès et mes erreurs je ne fais que décliner les tendances et
les moeurs de la collectivité dans laquelle je baigne. Est-ce
à dire que je sois "clivé" ou "psychotique": je le veux
bien, mais il reste alors à préciser en quoi la cohérence des positions de la
raison ou de la norme permettent l'analyse objective des phénomènes
psychologiques et politiques en jeu dans ce jeu... Ce
programme existentiel délirant m'a conduit et me conduit toujours à la
dissociation et à la dislocation complète ou presque de la protection cotonneuse
du petit monde d'amitiés et de fréquentations chaleureuses qui fait d'une
personne psychologique, un personnage social digne de ce nom...
e
fait, cette expérience intégrale pour ne pas dire intégriste, mais je la crois
intègre au sens psychotique du terme, me conduit à une sorte de raréfaction de
mes relations sociales et m'amène à constater sur presque tous les horizons de
mon "sujet" (il faudrait aussi des guillemets sur le
"mon"), des réaction de repli et de prise de distances en général
"respectueuses" (pas toujours) qui me laissent sur un sentiments de
manque affectif, mais aussi sur des impressions intellectuelles de
clarification et de vision du monde plus "objective", me plongeant
donc dans cette joie spinozienne dont je peux craindre dans un tel montage
qu'elle ne me fasse retourner à l'état sauvage. Cette
expérience qui est donc plus proche de l'expérience délirante primaire que de
l'expérience scientifique, s'est imposée à moi (c'est le mot) sur la base d'un
parcours personnel dont le caractère pathologique m'apparait aujourd'hui plus
que probable, je l'ai dit, mais dont la pratique me confirme dans la mise en question
de toutes les hypothèses qui ont bercé mon éducation psychologique et politique
(fort convenable au demeurant).
e
pense d'une part à mes travaux de thèse et de mémoire de psychiatrie qui ont pu
influencer mon jugement plutôt que l'analyser, et je pense aussi à ma
psychanalyse personnelle dont cette expérience n'est probablement qu'un
prolongement morbide ou un dévoiement dans le contexte de son incomplétude et
de son échec. Au
fond c'est bien à une sorte d'analyse historique des conditions de mon propre
pathos, sorte d'autopsychanalyse certainement contestable par les puristes de
la psychanalyse bourgeoise, que je me soumets ici. Complaisance peut-être, mais
dont le confort intellectuel laisse à désirer. Je
ne doute pas qu'on m'en fasse un jour le reproche, doute sans doute encore
paranoïaque, mais je ne vois ce que je pourrais faire d'autre, sinon rentrer
dans le rang et aller voter pour le Modem ou les écolos.
a
question, pour être partie intégrante de mon pathos, n'en est pas moins
formulable en des termes très généraux (ce qui la rend peut-être compatible
avec un quelconque impératif catégorique): Est-il possible de rendre public (et
donc politiquement pertinent) et de diffuser par les moyens techniques advenus
au bénéfice de la "modernité" (je pense au net), un débat politique
effectif, impliquant majoritairement des acteurs "locaux", et
constituant une expression ou une émanation (je ne dis pas une représentation),
d'une partie même infime de la collectivité "locale", sur des
questions qui ne soient pas condamnées au même confinement (je veux dire qui
osent s'aventurer au delà de la maladie des platanes, et de la hauteur des
trottoirs, lesquelles sont bien-sûr judicieuses lorsqu'elles ne sont pas
récupérées par les petits potentats symboliques locaux représentationnels),
sans avoir à respecter les sacrosaintes règles de la prise de parole dans
l'institution et l'entreprise quelles qu'elles soient, et sans avoir
systématiquement sur le dos le Conseil Général, le journal du coin, le Crédit
Agricole et la Générale des Eaux?
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