On ne peut pas faire de la représentation politique avec de la bonne foi.
C’est ce qu’il faut entendre de Machiavel.
On ne peut pas non plus par exemple être commerçant de bonne foi.
Mais on ne peut pas moins être psychanalyste de bonne foi (« sujet supposé savoir »);
on pourrait donc en dire autant des enseignants.
On sent bien que cette liste risque de s’étendre dangereusement,
c’est-à-dire jusqu’au Pape, sans épargner ses prêtres,
mais aussi jusqu’au cœur de l’être parlant,
qui ne peut jamais mieux faire que dissimuler sous la forme finie de son énoncé
les turbulences et les encombrements logiques de ses sentiments et de ses croyances.
Et le lecteur entendra que je parle pour moi.

u
bout du compte, c’est à se demander si Sartre n’a pas repris ce concept
pour se draper lui-même dans le geste auguste d’un savant sincère,
détenteur et garant de la grammaire et des formules pour dire le néant,
le trouble, le manque suprême qui fait parler l’être se voulant «
humain », c’est-à-dire touché par la question de la foi, et de la
bonne. Faisons lui crédit et grâce de cette moquerie dont il ne mérite
pas l’acidité.
On
peut se demander ce que cette question a conditionné dans les mondes
grecs ou romain, et dans tout l’univers historique de la conscience «
préréflexive », que je situerai arbitrairement mais aussi logiquement
avant la renaissance (toute renaissance imposant réflexion), et s’il
était dans les us et coutumes de ces « anciens » d’interroger la bonne
foi des acteurs sociaux ou des « philosophes ».
C’est ici que le
terme de « sincérité » peut nous poser sa question « psychologique »,
avec son curieux sens de pureté et de non mélange (Robert de la Langue
Française) : c’est un sentiment dont on ne voit pas l’intérêt dans un
monde polythéiste! La foi des anciens adresse des sentiments pieux à
des divinités qui se déchirent. Les monothéismes par contre, y compris
celui du capital, exigent de leurs ouailles l’expression d’un sentiment
pur et déterminé à l’endroit d’un seul objet, ou plutôt d’un seul
sujet, mais c’est la même chose. Et le plus drôle c’est que Sartre s’en
soit fait le chantre, pour ne pas dire le pasteur!

t
pourtant on ne peut pas lui en faire reproche parce que s’il existe une
psychologie, elle ne peut guère que renvoyer à cet élément ou à cette
catégorie que Kant aurait peut-être pu ranger sous le titre de
l’adéquation à la maxime du sentiment. Que le sentiment soit en accord
avec le discours, voilà le projet. Sans compter qu’il doit aussi servir
le progrès.
C’est
au fond, un drôle de concept que celui-là, et la façon qu’on a dans les
institutions « modernes » de le faire jouer, rappelle assez violement
combien il est incompatible avec l’exercice du pouvoir. C’est
d’ailleurs peut-être là l’intérêt majeur de l’œuvre de Philippe Mengue,
que de montrer dès le départ ce montage particulier où l’on pourrait
dire de Sade qu’il est peut-être le seul (et il faut dire qu’il ne
pêchait pas par normalité) à être de bonne foi dans son rapport à
l’exercice du pouvoir. Cela dit, il n’aurait peut-être pas fait
l’unanimité à des élections démocratiques, ni même aristocratiques si
la chose pouvait être imaginée.
uoiqu’il
en soit la « bonne foi » comme concept, et sa sœur jumelle qui est la
mauvaise, semblent interroger dans un système de la réflexion, la
possibilité de l’exercice du pouvoir, ne serait-ce que de persuasion
non rhétorique mais psychologique c’est-à-dire réflexif, dans
l’organisation d’un monde politique qui met tendanciellement en
question le régime politique sous les dictats et les attributs d’un
monothéisme religieux, c’est-à-dire qui critique les monarchies et le
empires politiques au titre du culte rendu à la monarchie et à l’empire
d’un seul dieu. Il ne peut être pensé et s'agir de la pesnée, de bonne
ou de mauvaise foi (aux deux sens du génitif), que dans ce rapport du
jeu d’influences des acteurs sociaux là où il peut avoir un sens et une
importance, en regard d’un sentiment partagé inconditionnellement de la
morale, du sacré, du transcendantal comme seule possibilité de vivre
dans le collectif.
La bonne foi comme état stipule de savoir ce
qu’est une « bonne pensée », et sur cette base, de savoir reconnaître
ses mauvaises. Reconnaître au sens de ne pas les dissimuler. Comment ne
pas penser au rituel confessionnel?
l
est intéressant de constater que cette expression est devenue depuis
longtemps et antérieurement à son usage psychologique, comme beaucoup
d’autres (aliénation, forclusion, …) un terme de droit européen.
Je
le commente, ce terme, non pas pour le décrier ou le dénoncer, comme
peut le faire une certaine tradition critique anti capitalistique pour
laquelle j’ai des sympathies mais dans les outrances de laquelle je ne
veux absolument pas tomber (ou retomber), mais au contraire pour bien
indiquer la dimension de malaise que son usage m’impose (et impose à
mon avis au plus grand nombre).
L’idée d’une bonne foi des acteurs
sociaux ou plus précisément des acteurs des systèmes politique qui
façonnent le monde social, nous confronte à la nécessité de soutenir
les effets d’un curieux paradoxe : On ne peut pas participer
sincèrement et de bonne foi au fonctionnement d’une structure de
société (institution, croyance, culture, art, science, philosophie) si
l’on ne dispose pas sa propre croyance et son propre sentiment de soi
obliquement par rapport aux phénomènes rencontrés. La « bonne foi », ce
serait se condamner soi-même à recevoir les phénomènes (et
particulièrement le phénomène « d’autrui ») dans une position de «
naïveté » que les phénoménologues ont d’ailleurs essayé de glorifier,
mais qui interdit toute liberté de jugement, c’est-à-dire tout
jugement, à l’endroit de la ou des « personne(s) » concernée(s)
dans le phénomène en question, qu’il soit individuel ou collectif. Être
« de bonne foi », c’est se condamner à être traité comme un « naïf »
c’est-à-dire comme un enfant, et donc s’inscrire dans un rapport de
soumission à l’endroit des agent plus « machiavéliques » que l’on
s’empêcherait par la même occasion de juger en tant que tels.
n
voit bien là tout ce qui a pu torturer Kant autour de son fameux «
droit de mentir ». Le concept de bonne foi force dans le champ
symbolique celui de « vérité du sentiment » et renvoie donc à la
fonction, même logique contenue ou conditionnée dans l’idée même de
vérité.
« La vérité du percevoir est bien plutôt un phénomène »
disait Hegel. De la même façon la vérité du sentiment est bien plutôt
une croyance. On ne peut appliquer aucun savoir de vérité à l’endroit
de nos sentiments. Tout « savoir » constitutif et constituant d’une «
vérité » ne peut découler que d’un jeu (d’ailleurs fort contestable) de
pure logique avec des « représentations ». On ne peut aucunement
appliquer la logique des prédicats (et encore moins celle des
propositions) au sentiment qu’on adresse à un objet ou à un être, car
c’est précisément les empêchements inhérents à la logique comme telle
des « représentations » de monde qui génère le phénomène du sentiment
en soi. Et sur ce point je veux imaginer que ni Kant, ni Hume, ni même
Freud, ne me démentirait. (Sentiments, intuitions, connaissances, …)

u-delà
de cette consistance de la « foi » du sujet, qu’il soit charbonnier,
prêtre ou philosophe sceptique du nouveau monde, il se pose aussi le
problème amusant du « sentiment de la bonne foi » et donc de la « bonne
foi des sentiments », qui interroge cette sorte de boucle interne au
sujet, si toutefois il a un intérieur, mais qui interroge surtout ce «
mécanisme » adaptatif que Bourdieu a si souvent (et si bien!) décrit
comme condition de socialisation :
Que
l‘« intérêt au désintéressement » soit la plupart du temps «
inconscient », n’empêche pas qu’il garde toute son efficacité lorsqu’il
passe le « seuil » de la conscience. Il est vrai que c’est le moment où
cette « bonne foi » en prend un coup, précisément dans la dite
conscience. Cela ne lui empêche alors pas de se présenter comme telle,
puisque c’est son intérêt, et qu’à l’occasion et dans le même temps, si
toutefois elle sait le faire avec suffisamment de « talent », elle a
tout à gagner à se dénoncer comme « mauvaise conscience », puisqu’elle
se présente comme le faisant de « bonne foi ». Il ne peut-y-avoir de
bonne foi que là où il y en a de la mauvaise. Héritage chrétien du
manichéisme, ou manque premier du sujet que Freud a stigmatisé sous le
concept de castration, ou encore conditionnement de l’être par son
manque que Sartre si magnifiquement écrit : la bonne foi atteste du
défaut d’elle-même.

t
voilà qui porte un rude coup au savoir positif Aristotélicien-Hégélien
: la vérité est maximisée précisément là où elle manque le plus. Seuls
nos mensonges sont absolument véritables. Tout le reste prêche. Et
pêche. Le mensonge seul est potentiellement « innocent ». Pas souvent
bien-sûr car on le bride encore trop quand on le laisse advenir en tant
que tel. Mais rien n’est plus authentique qu’un mensonge bien disposé
(et "honnêtement motivé" – on revient à Kant). Kant d’ailleurs a voué
toute sa vie et sa croyance à un projet de logique rigoureuse et de
vérité incontestable.
La vérité elle, à l’instar du mensonge, n’est jamais « innocente ». Il n’y a de vérité que là où il y a « crime » ou délit.
Je
veux dire "il n’y a vérité que là où il y a ruse, tromperie,
dissimulation, aux fins d’une jouissance". Au bout du compte on pourrait
dire qu’il n’y a de vérité que guerrière ou sexuelle.
La vérité est
toujours affaire de secret. Où placer la bonne foi dans ce dispositif,
si ce n’est comme stratégie de représentation : bon sentiment affiché.
e
propre du politique ou du penseur ayant une aura, c’est de n’afficher
rien d’autre que ça. Comment concilier cette apparence avec le cynisme
et les innombrables trahisons qu’exigent l’exercice du pouvoir et de la
transmission des savoirs académiques, même lorsqu'il se veulent critiques et d’avant-garde.
Car il y a un académisme d’avant-garde! C’est même le plus opérant dans
le champ de la représentation politique. Qu’ont donc été (et sont
encore) les "nouveaux philosophes" dans la France qui se cherche ? Que
demande-t-on à un intellectuel qui commet l’imprudence de se produire
(mais qui résisterait à ce nectar!), sur les plateaux télé ?
La
représentation médiatique et politique dans les régimes parlementaires
de composition constitue la forme la plus distordue que l’on puisse
imaginer de la représentation de mauvaise foi de sa bonne foi, même
lors l’orateur a les meilleurs sentiments du monde, et qu’il y croit.
On
ne peut pas présenter le gâteau imprégné du filtre d’amour politique
sans préciser qu’il ne contient aucun poison. On est donc obligé dans
le dispositif de la propagande sincère, de maquiller les intentions
honnêtes qui président à la promotion produite sous les revendications
d’une innocence que même les plus politiques ne parviennent pas à
rendre transparente, sans aucun inconvénient pour l’efficacité
"politique", du fait de la structure des attentes et des désirs
collectifs du "champ".

’invention
de la bonne foi comme marqueur éthique depuis l’église catholique
jusqu’à Sartre et au-delà, nous laisse donc aux prises avec un paradoxe
de type russellien : on ne peut pas être à la fois contenant et
substance de vérité, être détenteur de vérité et détenu par elle, comme
on ne peut pas être dans la même position, sujet et objet du désir : ce
serait l’amour parfait, et donc la fin. On ne peut être président et
membre. C’est tout le problème éthique des associations, qui veulent
confondre la motivation des membres avec le plaisir du chef. (Même
chose avec la structure salariale et le patronat comme l’a bien
heureusement développé Frédéric Lordon dans son «Spinozisme».)
L’idée
de bonne foi ne peut être produite que de mauvaise foi, c’est un
problème de logique. Personne n’est responsable de ça. Il se peut par
contre que certains en usent plus déraisonnablement que d’autres (ce
qu’on appelle abuser). Les détenteurs outranciers du temps de parole
télévisuel en font habituellement une consommation et une monstration
assez monstrueuse. Certains sont cependant plus talentueux que d’autre
pour dissimuler le paradoxe sous les voiles de la tolérance
représentée. En France, Dominique Taddéi se débrouille pas mal à cet
endroit. Le paradoxe n’empêche pas le talent. Et encore une fois les
détenteurs des pouvoirs de représentation ne sont pas plus responsables
que les autres du malentendu structurel positif constitutif de la
société électorale.
Ma seule force dans ce type d’écriture, c’est ma position de « râlerie »
(peut-être est-ce ce qu’on appelle le cynisme)
et la dimension plus que microscopique de mon influence.
La seconde est incontestable au registre de la vérité,
et pour la première, j’assure ici mon lecteur potentiel,
de toute ma sincérité :
elle est exprimée en toute bonne foi.