Je reprends un écrit sur
travail.
C’est qu’il faut décidément
travailler la question et questionner le travail en tant que concept et en tant que substance.
e n’est pas faute d’avoir
déjà écrit là-dessus, mais il me semble que ce clou n’est jamais suffisamment enfoncé,
jamais suffisamment loin, jamais suffisamment bien. « Travail bien
fait! »
Le travail est une nuisance,
je confirme.
Et le fait que chacun
s’évertue à faire concevoir des contextes, des lieux, des espaces, des états
d’esprits dans lesquels le travail peut être conçu comme une réalisation, un
moyen de reconnaissance sociale, une position d’échange et de générosité de la
part des acteurs sociaux, toute cette chaleureuse conception des belles âmes
néo-marxistes, constitue encore une nuisance, et peut-être une des plus
pernicieuses, parce qu’elle est sympathique.
Le travail aliène, ratatine,
use, conditionne, fait taire, humilie.
Il humilie toujours.
t pourtant il en faut. Il en faut mais ce
n’est pas une raison pour le sanctifier. Ce n’est pas parce qu’il est
nécessaire qu’il est saint. Il est nécessaire et nuisible. Le travail dans
lequel on se réalise ou dans lequel on jouit, c’est un déguisement de travail,
une panoplie du parfait travailleur, meilleur ouvrier de la planète, intellectuel
organique passionné de l’institution, patron qui met la main à la pâte. Qu’on
ne s’y trompe pas, ces hérauts du travail ne travaillent pas, ils font
semblant. Ils ont trouvé le créneau qui leur permet de bénéficier à la fois des
structures discrètes du capital et de sa rente symbolique narcissique, et de
jouir sans payer de situations sociales de représentation dont ils sont à la
fois les garants et les bénéficiaires. Ils maintiennent le travail à sa place
représenté d’objet enviable, « euphémisé » comme disait Bourdieu, et
par la même occasion ils font perdurer dans toute sa dimension structurelle, la
façon dont le travail comme position réelle dans le monde « moderne »
c’est-à-dire « capitaliste », terrasse l’acteur social de la base, et
lui enjoint de rester producteur de ce minimum vital symbolique et réel qui
l’attache à sa fonction de reproducteur des images auxquelles tout travailleur
ne peut qu’aspirer.
ue l’on ose encore penser
(et couramment) bientôt 60 ans après Auschwitz que « le travail rend
libre » constitue pour moi la forme la plus paradoxale de ce qu’on est
bien obligé d’appeler une sorte de « petit totalitarisme esthétique »
encore attaché aux valeurs pétainistes du travail, sinon bien fait, du moins
bien représenté. Entre « le travail rend libre » et « le travail
aliène », il y a comme une sorte de camp à choisir : choisir son camp de concentration. On ne peut pas
sans mettre en œuvre une puissante nocivité, surfer des deux cotés de la vague.
Et il y a à mon sens une nocivité au moins aussi grande à choisir de défendre
le coté « émancipateur » du travail : certes on souhaite un
travail « intéressant » (et rémunérateur) pour nos enfants (et pour
nous-mêmes quand la retraite ne nous fait pas renoncer à cette forme là
d’ « intérêt »), mais on serait bien plus fondamentalement
rassurés de les voir s’autonomiser par tous les moyens, des nécessités, des
faux semblants, de la véritable exploitation, de la véritable humiliation que
toutes les positions de travail « réel», c’est-à-dire non fictif, imposent
au bétail humain que le marché fait paître et souvent repaître, avant de disparaître.
e travail fictif ne se réduit
pas aux emplois fictifs. Il y a toutes les positions de maîtrise et de
« compétence » qui ont pour finalité dans l’organisation du monde
laborieux de définir les « bonnes places », c’est-à-dire celles qui
confèrent toutes les insignes du travail et du mérite, et qui garantissent la
rente d’un travail « valorisé » obtenue sans efforts et sans
pénibilité, la plupart du temps avec « passion », « intérêt ».
Ca peut-être l’aboutissement d’une carrière brillante (pas sans calcul) et
c’est toujours qu’on le veuille ou non la résultante d’une spéculation acharnée
sur les « postes », la manière d’être et de communiquer (ou surtout
de ne pas communiquer!!), le savoir faire et le savoir y faire avec l’institution,
la clientèle, le règlement, le marché lui-même, voir la morale transcendantale
du capitalisme, qui existe, et dont on pourra faire par ailleurs le tableau.
L’analyste travaille,
l’analysant travaille. Qui donc alors récupère les bénéfices et quels sont-ils
?? Où est la liberté dans l’histoire ??
On pose rarement ces
questions.
Au fond aujourd’hui il se
promène à l’horizon de la pensée rationnelle « moderne » ce
paralogisme qui veut que les « analystes » soient en positions
opposées de part et d’autre de la fracture
« philosophie-psychanalyse » (même si l’intérêt fait qu’ils s’entendent
bien pour s’opposer …). Les analystes ne sont pas sur les mêmes postions dans
chacun de ces camps : d’un coté ils sont complices du concept, du
« mot » et des bénéfices que toute cette machinerie permet d’obtenir
dans la culture, de l’autre ils s’en méfient par principe et par jeu, ils
mettent le concept à l’épreuve de sa propre autorité et ils n’ont de cesse que
de le mettre en défaut sur le terrain de son propre exercice. C’est dans ce
gouffre que génère l’exercice moderne de l’argumentation, que se constitue la
moderne opposition du romantisme et du pragmatisme, du subjectivisme et de
l’objectivisme, de Kant et de Hume. C’est dans ce trou que vient se nicher le
« travail » comme concept aussi bien que comme acte, c'est-à-dire
comme synthèse. Rendre distincts les concepts et rendre distincts les objets,
voilà dans tous les cas la finalité du travail de la raison, pour reprendre un
aphorisme célèbre de Kant.
e travail distingue,
pourrait-on penser, pour dire le fin mot de l’histoire. Mais c’est plutôt en se
distinguant, qu’un sujet quel qu’il soit s’émancipe des conditions du travail.
Il faut savoir, et savoir distinguer, et savoir même parfois, choisir son camp.
Mais choisir son camp c’est
être choisi par un camp. Il y a peut-être quelque intérêt pour la liberté du
sujet ou pour la liberté tout court, à choisir de se soustraire à l’injonction
du choix. On peut toujours choisir, mais il se peut qu’on soit de toute façon le
dindon de la farce. Et c’est visiblement ce qui se passe dans la plupart des
cas en régime représentationnel capitalistique. L’école de Palo-Alto à eu le
mérite de mettre ce fait en évidence, de mettre en évidence ce qui ne l’est
pas :
Le travail, c’est le double
lien.
En tout cas, je propose cela à titre d’hypothèse. C’est le mouvement
impuissant. C’est la position d'action passive. La passion triste par excellence.
Alors il se peut que nous
appartenions à une civilisation qui développe tout son talent à nous faire
prendre des passions tristes pour des passions joyeuses. Encore un exemple de ce que Bourdieu
a appelé « euphémisation » et dont il importe de bien comprendre la
signification.
Faire passer des vessies pour
des lanternes, voilà une méthode bien antérieure au siècle des lumières.
C’est cela, « faire
travailler », les acteurs, les concepts, les enfants, les partenaires, les
animaux, les machines. Tout ce qu’on peut mettre au travail…
Le travail rend apte à
supporter la nécessité d’en faire toujours davantage.
u sujet d’une hypothèse de
la centralité du travail.
Il y a cette nouvelle vision d’économique
politique qui condamne la « centralité du travail », pour mieux
garantir les idéaux de la passion du travail soigné et joyeux. Voilà qui
promeut l’utopie du travail marginal distrayant suffisamment rémunérateur et
narcissiquement "suffisamment bon" comme a pu l’être la « mère
suffisamment bonne » de Winnicott. Comme je serais heureux de pouvoir
aller travailler d’un cœur et d’un pas légers quand mes projets d’action
culturelle, politique, artistique, affective, sexuelle et intellectuelle auront
été « suffisamment satisfaits ». Et comme je goûterai les charmes du
sentiment d’être à sa place dans la division du travail, « rôle
social », « sentiment d’être à sa place », bonheur d’une vie de
représentation où chacun est justement représenté par des représentants qui font
bien leur travail.
ais quel est le travail de
Blanche Neige?
De quelle façon Blanche Neige
a-t-elle la possibilité d’intégrer sa fonction au sein de la clairière
heideggérienne qu’à imaginé Walt Disney?
Elle doit permettre
l’existence d’un support imaginaire pour entretenir le désir de la masse des
petits travailleurs (On entendra bien-sûr « petit travailleur » =
travailleur marginal : celui qui va travailler pour entretenir son
fantasme et non pour garantir la nécessité de sa survie).
Quelle responsabilité
harassante, doit constituer pour les femmes la vocation d’avoir a entretenir
comme tel dans le champ social et historique, le désir d’objet! Pauvre Blanche
Neige!
e travail marginal, c’est
celui qui entretien le désir, le travail central, c’est celui qui maintien les
conditions de la vie (ou de la survie) au regard des conditions du besoin.
Et voilà : nous avons le
canevas : au centre, les affres du
besoin, et en périphérie, les joies du désir.
C’est précisément la
topologie de mon « tableau fétiche ».
Allons donc travailler en
périphérie. Il suffit de prendre le bus ou le métro.
Mais voilà il y a un problème
de définition et de topologie, car comme le disent tous les philosophes,
l’important c’est l’accessoire, la profondeur c’est la surface, et les
premiers sont les derniers.
Il me semble que si mon
schéma topologique présente un intérêt, c’est celui de montrer que le culte
ludique (ou révolutionnaire) de la « marginalité » ne résout pas
grand-chose à la question du travail (et donc du capital).
Une réponse plus
« pertinente », ou du moins plus « satisfaisante »
serait
peut-être à chercher dans les définitions de la marginalité rapportées par Keynes
depuis « les théories économiques classiques ».
Je garde ça pour une
prochaine production marginale.