Hypotheses
non fingo sed deleo.
Déconseillé aux psychanalystes
intégristes et aux philosophes analytiques, peut-être aussi aux
phénoménologues heideggériens, afin d’éviter à tous un long procès
d’incompréhension mutuelle.
|
Le réel est plein, nous dit Lacan,
pour
faire tourner sa boutique et vendre l’imaginaire du sujet au coin de la rue.
Mais le réel plein, je ne l’ai jamais vu
nulle part.
Tout simplement parce qu’il n’est pas plus
plein que je ne suis prêtre.
Le réel, pour autant, n’est certes pas sans
exister.
Il n’arrête pas de nous supporter et
réciproquement, pour reprendre une terminologie lacanienne.
Le réel est là en permanence,
peut-être des
fois un peu instable, un peu blessé, donnant le vertige, troué, évanescent,
problématique mais il est toujours là.
Comment le plein pourrait-il être
évanescent?
Le réel est plat. Il est là et il est plat!
Ça ne veut pas forcément dire qu’il soit
banal.
Encore y-a-t-il toute une banalité du réel.
En tout cas ce qui m’apparait comme de plus
en plus évident au fil de la réflexion que j’y consacre,
c’est que le réel est sans
profondeur.
Il n’a pas d’inconscient, pas de contenu, pas de propriété publique
ni privée,
pas d’arrière monde pour reprendre le reproche d’Onfray à la
philosophie positive.
a vision de la profondeur n’est rien
d’autre que la tromperie du temps de par mes mécanismes d’intégration cérébrale de deux
images qui peuvent être légèrement différentes dans le même temps, mais si ce
temps est effectivement à intégrer comme troisième dimension de l’espace où je
me crois et d’où je crois parler, ce temps quoi qu’il soit, ne me permet pas
d’affirmer quoi que ce soit de la distance qui me sépare des autres images ou
des images des autres.Cela constitue évidemment un scandale pour
notre éducation positive et scientiste, toute conditionnée des puissances de
l’espace euclidien, et de l’idée de la droite et de la droiture. On peut toujours se consoler de cette
« dimension perdue » dans l’idée d’intériorité, d’appartenance, de
possession, d’habitation, même très phénoménologiquement parlant. Le monde à
beau constituer la maison de l’être, la façon dont il l’habite ne le persuade
que péniblement de sa position d’intériorité.
Le réel est plat et plan, sans pour autant
être sans plicatures, et même sans « complicatures » infinies et
fractales, ce qui fait qu’on peut toujours comprendre et « expliquer »
son immense potentialité, son inconcevable richesse, et tous les faux semblants
dont il peut détenir les mystères.
e réel constitue plutôt pour moi ce que
Deleuze et Guattari ont appelé le plan de consistance de tout sujet ou
évènement ou «eccéité » (ou « hecceité »). Tout donné est
intégré dans le cadre d’un « plan de consistance » où il donne lieu à
des correspondances infinies en complexité et en extension, mais sans sortir du
plan, car il n’y a pas d’espace pour en sortir. Il faut composer avec les
lignes, les traits, éventuellement les plis, les fractures, ou les trous. C’est
précisément toute cette géométrie (toute aussi rigoureuse que celle d’Euclide),
que Lacan a voulu remettre en scène avec sa topologie (empruntée du moins aux
savants qui le précèdent ou lui sont contemporains), et que toute la tradition
française dite post moderne a peu ou prou pensé dans son sillage ou à son
encontre : l’être ne peut s’écrire que dans un plan.
Tout ce qui existe à l’être se passe dans
le plan de consistance de l’être. Même son essence, lorsqu’elle se pointe.
Bien-sûr cela pose au « sujet » s’il
existe, la question de son écriture. Qu’est-ce qui est écrit du sujet comme
susceptible de le conditionner, et qu’est-ce qui advient de ce que peut écrire
un sujet, sinon une extension de son plan d’immanence? Des lignes, de droit ou
de fuite.
Et c’est bien par le fait de cette
structure que le mythe de la distinction, je ne parle pas de Bourdieu mais de
Leibniz, le mythe du discernement, pose irrémédiablement problème : je
puis toujours me persuader de discerner, au-delà des gouttes d’eau entre elles,
le dedans et le dehors, le moi et le monde, l’être et l’autre, le positif et le
négatif, il reste toujours au fond de moi (ou du monde), une sourde
inquiétude : est-ce bien moi, est-ce bien lui?
Parce que c’était moi et parce que c’était
lui, je me rassure. Mais mon souvenir me laisse toujours incertain sur les
idées, les mots, les appartenances : est-ce lui ou moi qui a dit ce mot?
Est-ce son désir ou le mien que je vise? Qui regarde quand nos regards se
croisent?
’être de Heidegger est-il dans sa maison
ou la possède-t-il comme objet?
La vérité est-elle garante de l’
« authenticité » dont se rehaussent les phénoménologues, ou n’est-ce
pas plus souvent les différentes façons de la nier, de la dissimuler, de
l’oublier, qui traduisent, comme l’a voulu le dogme psychanalytique (et je dis
bien le « dogme »), le « fond » de vérité des faits, des
actions, et des êtres?
Rien n’est certain. Les incertitudes de la
pensée sont exaspérantes, insupportables : La pensée se cristallise sur
des incertitudes. Son squelette est mou, comme celui des montres de Dali.
Alors on peut s’adosser à la science,
s’harnacher de tout un montage prothétique de fixateurs internes ou externes.
Et la pensée semble soudain plus droite, plus opérante, plus autorisée. Mais y
croit-on?
Oui, on y croit, car il en ressort un
confort inestimable. Une garantie, un sentiment de sécurité :
La formule le dit, l’expérimentation le
confirme, la technique l’exploite, la machine marche.
Tout est donc pour le mieux dans le
meilleur des mondes.
Mais y croit-on « vraiment »?
On voit bien qu’il y a un prix à
payer :
la machine ou la molécule peut tout faire, tout garantir, sauf, remplacer
l’être, de quel côté que l’on soit de la barrière.
Quelle barrière? Toujours la même :
L’être et l’autre, le dedans et le dehors, etc…
Il n’y a pas d’amour heureux.
La vérité est une marchandise pour les
curés.
Il y a en tout sentiment comme en tout
savoir, doute et confusion.
Qui assure le bon sens et son partage
universel?
Bien-sûr que mon propos est très éthéré,
très « métaphysique »! Très loin de la situation
« pratique »?
Pas si sûr.
e sentiment de confusion du dedans et du
dehors, en psychiatrie, on l’appelle souvent la psychose. C’est très injuste.
Tout ce qui participe de la névrose produit tout autant de confusions, d’impressions
imprécises, voir hallucinosiques. Les attaques de paniques sont un vécu
délirant du monde introjecté dans le corps propre. Les Tocs (troubles
obsessionnels compulsifs) sont des actes intérieurs étrangers au sujet. Les phobies, des angoisses propres projetées
sur des objets attracteurs, etc.
Au fond, pour qu’on parle de subjectivité,
il faut qu’existe quelque part cette effraction, cette indistinction, ce
trouble, et c’est bien en quoi la théorie de l’être psychique normal est
idiote. C’est aussi toute la force du point de vue de Lacan qui pose le sujet
comme « partagé », après Freud. Ca ne plait pas à Onfray. Ce qui
ne lui plait pas, c’est que lui soit partagé. Pourtant cela n’altère rien de
son talent.
C’est parce que le plan de consistance de
l’être partage inefficacement en deux, un monde sans dimensions, qu’il est doué
de ces pathologies que sont les « personnalités » et les
« tempéraments ».
Et peut-être aussi pour la même raison,
qu’il présente des troubles cycliques de l’humeur, avec lesquels notre
psychiatrie si décriée (et stigmatisée, il n’y a pas que les patients qui
soient stigmatisés!), est tout de même en passe de faire quelques petits miracles.
Quoiqu’il en soit, la pensée ne pouvant se
mettre sous la dent que des « représentations », pour reprendre le
canevas freudien, se doit de les traiter avec quelque « logique »,
science qui prend douteusement sa racine dans les domaines du discours et du
langage. Il y a des langages plus ou moins logiques, et des attitudes plus ou
moins logiques. Entre ces montages et les représentations elles mêmes, il y a
peut-être les prédicats.
u’est-ce donc qu’un prédicat. C’est une
proposition qui pose quelque chose. C’est certes vague.
C’est quand même ce qui fait de nous ces
fameux (mais douteux) « sujets ». On peut bien-sûr énoncer d’autres
choses : des interjections, des cris, des borborygmes, etc. mais en dehors
de toutes ces éructations qui ont toujours passionné les grammairiens, tout
énoncé se ramène bien, avec ou sans élisions, avec ou sans exclamation ou
interrogation, à une « prédication », à un contenu de sens prédit
d’un « sujet » de l’énoncé. Ensuite ça se corse avec les logiques des
propositions entre elles. On enlève le « entre » ça fait
« propositionnelles ». Un prédicat dit quelque chose de quelque
chose. Il fait parler les choses. Mais ça ne se passe pas non plus sans
problème. Il n’y a pas de prédicat sans grincements de dents. Un prédicat, ça
parle. Ca peut écrire. Ca stipule aussi de la pensée quelque part. On ne sait
pas où.
ais ça ne parle pas dans un espace à trois
dimensions, dans une oreille. Ca dit ce que ça pense, et ça dit ce qu’il faut
en penser. C’est une affaire de pensée plus que de larynx ou d’encre. Ca
informe aussi, ça passe son message, ça donne le ton. Tout ça dans le plan, pas
tant du sujet que de son autre.
Le plan du sujet, c’est le plan de l’autre.
Ca se répond. Ca parle, comme disait Lacan, mais ça écrit tout autant, aussi
bien que c’est écrit et parlé.
A partir de là ça peut toujours s’imaginer
un espace à trois dimensions, (pas vraiment plus), dans lequel le dit
« sujet » pourrait s’envoler à la conquête de ses objets et de
l’univers.
L’univers des objets est d’ailleurs le
paradigme de cette machine à fantasmes qu’est le monde physique représenté et
théorisé. Ce hochet qui rempli l’assiette des scientifiques depuis quelques
millénaires est considéré par un grand nombre d’entre nous comme le
« réel ».
Pour qui?
Pour le bébé.
Le bébé croit que son hochet s’éloigne et
se rapproche.
Le parent aussi y croit. On peut même y mettre une bobine.
Il ne
croit à cette éloignement qu’à partir du moment où il a commencé à mémoriser
l’objet.
Ca y est, le mot est lâché.
l y a de la mémoire, de la trace, de
l’empreinte, de l’inscription, de l’engramme, avec tous les effets de
palimpseste que ça stipule. C’est quand le bébé a imprégné
l’ « image » du hochet qu’on le lui fait tourner autour, qu’on
lui fait le coup de Galilée. Alors il peut bien y croire. Ca fait marcher ensemble
les deux faces de l’imaginaire et du symbolique, ces deux côtés ou ces deux
infinis du plan de consistance, mais en attendant, le bébé sujet ne peut se
percevoir que depuis la trace qui le fait être autre que ce qui est tracé. La
trace qui se réplique et se duplique comme les nucléotides de Jacob et Monod.
Là encore le fantasme stéréo-structurel est
superflu. Il en est de la séquence génétique d’un organisme
« cellulaire », comme d’un langage ou d’une séquence de signes, comme
d’une écriture, dont tous les effets, « dans » la cellule se soldent
pas des phénomènes membranaires. On sait très bien qu’il se joue là une
infinité de phénomènes de type « mémoire ».
Tout ce prêche à pour but de faire
comprendre, sinon admettre,
que le réel est un préservatif entre l’imaginaire
et le symbolique,
une infime pellicule d’incommunication,
que les trois
instances ne sont pas bras dessus bras dessous,
que l’imaginaire me fait sentir
le monde dessiné par un peintre invisible, sur une plaque de verre dépolie,
« de l’autre coté ».
Touts ces métaphores sont des fictions. Elles
créent un « sentiment de volume », une respiration.
La respiration est peut-être la première
fiction d’espace : le besoin d’air.
L’air n’est pas une fiction :
il est
ce qui permet à l’être de se déployer, d’arrondir ses formes, et bien sûr de
vivre.
Faut-il dire que l’air réel est plat?
Alors bien-sûr, c’est dur à penser, que
l’eau qu’on boit soit contenue dans un plan.
Le vin plus encore.
Que l’air
qu’on respire soit fiction de papier, c’est un peu difficile à réaliser, surtout
pour l’insuffisant respiratoire.
ais là n’est pas le problème. Nous avons
été éduqués à l’imaginaire. L’occident tout entier a inventé l’imaginaire
positif. Il s’en regorge. Et il demande que l’on se prosterne devant ses images
pieuses de la perspective, de la profondeur, les Botticelli, Crivelli, mais
aussi bien le XIXème jusqu’à Dali.
Il y a justement cette cassure qui fait
définir la « modernité » en peinture et qui veut qu’un moment, apparaisse
une peinture qui semble critiquer ou abolir le dogme de la profondeur. C’est
bien ce qui se passe dans les Balthus ou dans les Lindner (ce qu’on pourrait
aussi dire de Botéro), tout autant qu’une représentation explicite des
fonctionnements de machines désirantes. C’est d’ailleurs maintenant la question
qui torture la peinture aussi bien que la photographie et peut-être même le
cinéma (ou du moins un certain cinéma relativement rare) : Comment faire
apparaître la platitude des choses. L’amphibologie de l’expression mérite qu’on
s’y attarde. Il y va tout autant de la banalité que de la géométrie. Banalité
de la mort, géométrie de la mort. Tout coule.
Tout coule mais avec des variations de
flux. Et il y a des flux différents pour des êtres différents.
Et il y a des encombrements d’écoulements,
des phénomènes tourbillonnaires, des étranglements, des différences de vitesses,
mais pas souvent conscients, comme l’ont beaucoup développé Deleuze et Guattari.
Dans une vie, on ne s’aperçoit pas forcément qu’on est devenu presque immobile.
Dans quel référentiel dira-t-on?
Toujours
le sacro-saint scientisme de la relativité
qui a fait les beaux jours de la
bande à Sokal.
ais il n’est pas besoin d’un espace à
trois dimensions pour comprendre les phénomènes de flux, laminaires ou
turbulents, il y faut le plan et son temps, et ça suffit. S’il est en lui-même
la troisième dimension, que représente alors l’idée de profondeur? C’est le
temps qui me sépare d’un autre être. A cet endroit le texte de Laurent Derobert
que je commente sur ce site me parait très intéressant. Il est seulement
dommage qu’il ait, comme Lacan, développé ses formules sur trois items :
le réel, le vécu et le rêvé, comme si là aussi, le vécu pouvait se rapproché du
rêvé. On peut rêver. Il y a une dialectique du réel du et rêvé, il y a une
dialectique du réel et du vécu, mais qu’il y ait une dialectique du vécu et du
rêvé c’est le rêve de l’occident positif, la belle au bois dormant. C’est un
dessin animé.
Il y a une platitude sans droiture du monde
vivant comme il y a une platitude sans droiture des êtres qui le composent.
Que fait-on avec l’imaginaire?
De la
poésie, de l’art, du cinéma?
Autant de platitudes!
De la science ou de la
poésie scientifique?
C’est le problème de la philosophie analytique.
Demandons-nous au moins une fois :
l’imaginaire a-t-il un rapport au capitalisme?
Autrement dit « le capitalisme
commercialise-t-il l’imaginaire?»
Une chose est sûr c’est qu’avec le « volume »
de la production imaginaire mondiale, le capitalisme fait de l’argent plat. Il
sait même le faire de dimension zéro. Il a su inventer le pur symbolisme :
le symbolisme de la valeur universellement échangeable et singulièrement
immobilisable. Cela va à la vitesse de la lumière. Et il réalise l’impératif
catégorique kantien puisqu’il a trouvé la formule de l’action universellement
valable…
Universellement valable sur une boule!
Pauvre Kant! Et pauvres de nous surtout!
La valeur marchande est arrivée à
satisfaire le principe kantien de validité universelle!
Mais attention, c’est une validité à trois
dimensions!
émolir cet à priori des trois dimensions
d’espace constitue peut-être la « réduction phénoménologique » la
plus radicale qu’on puisse imaginer. Mais la radicalité ne convient peut-être
guère à la phénoménologie. Du moins celle-ci se meut sur une planète dont la
fonction de « maison de l’être » justifie quelque chose de la
maintenance de la « stance de l’être » dans l’espace pour qu’il
puisse y accueillir son « autre », autant de nécessités
heideggériennes d’insertion de l’ « être là » sur un territoire
où la maison se doit d’être bâtie en trois dimensions, dans la clairière de
l’être, ou dans sa prairie.Je me suis d’ailleurs souvent demandé si
Kant n’était pas le premier phénoménologue, sauf qu’ « au
fond », il ne postule pas la structure des formes de l’intuition qui
rendent possible la perception et la conception des objets.La « profondeur » des choses et
des espaces (ou de l’espace, qui peut le plus peut le moins), a peut-être été
d’une certaine façon postulée par Kant comme impossible, en ce sens qu’il a
renvoyé la chose à son emplacement dans un au-delà inatteignable pratiquement,
si ce n’est par la conjonction active et amphibologique ou antinomique d’une
imagination elle-même déjà bien embarquée dans les espaces intersidéraux de la
transcendance, et d’un exercice symbolique qui mette en branle un entendement
doué d’une simplicité schématique que l’on ne peut guère concevoir que sur un
plan d’inscription à deux dimensions.