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Point de vue de Philippe Descola surchargé en rouge. Logique subjective


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Point de vue de Philippe Descola (noir et blanc)
Détérioré par mes références politiques, psychiatriques et kantiennes (en rouge).

un monde
enchevêtré
.

Discontinuités Morales

un monde objectif.

Modalité

Oligarchie panoptique.

Obsession

***

Différences
des corps

et

différences
des âmes.

Porter sur le monde un regard analogiste (ou obsessionnel), c’est d’abord percevoir tous les êtres et leurs éléments constitutifs comme différents les uns des autres. Mais c’est aussi tenter de trouver entre eux des correspondances, afin d’apaiser le sentiment de désordre qui résulte de cette prolifération d’entités disparates. En effet un monde où chaque entité forme un spécimen unique deviendrait vite invivable, si l’on ne s’efforçait de détecter des relations stables entre ses composantes humaines et non humaines, comme entre les parties dont elles sont faites.

En occident depuis quelques siècles, on distingue les humains (ou paranoïaques) du reste des entités du monde parce qu’ils sont les seuls, dit-on, à avoir une intériorité, un esprit, une conscience. Mais on les voit aussi comme des êtres de nature du fait des caractéristiques physiques qu’ils partagent avec tous les non humains, y compris les objets inanimés.

Ce n’est pas par leur corps, mais par leur esprit que les humains (paranoïaques) se différentient des non-humains (ou humains non paranoïaques). C’est aussi par des idées et des valeurs partagées qu’ils se différentient entre eux comme membres de cultures distinctes. Quant à la part physique des humains, elle est régie par les mêmes lois que celles des autres organismes, ou même des objets inorganiques; elle ne fait donc pas des hommes une espèce à part.

Quantité

Monarchie.

Paranoïa

***

Ressemblances
 des corps

et

différences
des âmes.

Discontinuités Physiques

Analogisme

Naturalisme

Continuités Physiques

Animisme

Totémisme

Qualité

Démocratie.

Schizophrénie

***

Différences des corps

et

ressemblances
des âmes.

Dans certaines régions du monde on voit les animaux et les plantes avec une intériorité semblable à celle des humains. On peut appeler animisme (ou schizophrénie) cette façon de combiner la continuité morale et les discontinuités physiques.

Les animaux, les plantes, les esprits ont une « âme » comme les humains.

Ainsi, chaque espèce se distingue des autres sur le plan physique, non sur le plan moral : elle se différencie par ce qu’elle peut faire, et non par ce qu’elle peut penser.

Les aborigènes australiens pensent que, malgré leur différence de forme, certains humains et certaines espèces d’animaux et de plantes, partagent à l’intérieur d’un groupe nommé la même essence, les mêmes substances et les mêmes dispositions issues d’un totem originel.

On peut appeler totémisme (ou hystérie) cette façon de mettre en avant des continuités morales et des continuités physiques entre humains et non humains.

Des groupes d’humains et de non humains partagent des ensembles de qualités physique et morales qui transcendent la barrière des espèces et garantissent une identité d’appartenance au groupe de représentation.

Relation

 Oligarchie représentative

Hystérie

***

Ressemblances
 des corps

et

ressemblances des âmes.

un monde
animé

Continuités Morales

un monde subdivisé.

 

 

Commentaire de Philippe Descola au musée du quai Branly 2009:

Un monde animé  (Animisme)

 Sur tout le territoire de l’animisme, dans les forêts d’Amazonie et d’Insulinde, dans la taïga et la toundra d’Amérique du Nord et de Sibérie, les animaux, les plantes, les esprits ont une « âme » comme les humains. On dit qu’ils vivent en société, chacun avec sa « culture » propre. Cette culture dépend du point de vue que chaque espèce porte sur les autres en fonction du type de corps qu’elle possède. Le mode perçu et utilisé par le toucan n’est pas celui du piranha, qui n’est pas celui du serpent, du jaguar ou de tel ou tel groupe humain.

Ainsi, chaque espèce se distingue des autres sur le plan physique, non sur le plan moral : elle se différencie par ce qu’elle peut faire, et non par ce qu’elle peut penser. De ce fait, les parures, les armes et les vêtements distinctifs des diverses tribus d’humains sont vus comme des attributs « naturels », analogues aux corps des plantes et des animaux.

Figurer un tel monde, c’est montrer que la plupart des êtres ont une intériorité semblable, mais qu’ils habitent des corps aux capacités bien différentes.

 L’âme des bêtes

Un façon simple de figurer l’intériorité des animaux, c’est de combiner un visage humain avec une face animale. Le visage humain figure la subjectivité commune à la plupart des êtres, tandis que la face animale indique l’identité propre à chaque espèce.

C’est ce que font par exemple les masques d’esprits animaux des Yupiit d’Alaska. Leurs voisins Inuits et les tchouktches de Sibérie ont choisi, quant à eux, de figurer l’âme par un changement d’échelle : les esprits des animaux sont représentés par de minuscules effigies en ivoire de morse. L’intériorité d’un animal, c’est ainsi l’image de son corps en miniature. Ce modèle réduit n’est pas conçu comme une simple copie de l’être qu’il représente, mais au contraire, comme son prototype même.

 Se camoufler en esprit

Les peintures corporelles et les masques costumes arborés par les Indiens d’Amazonie sont une autre façon d’emprunter l’image des non-humains. Les animaux et les esprits sont censés se voir eux-mêmes comme des humains et ne peuvent alors se distinguer les uns des autres qu’aux moyens des motifs particuliers dont ils sont ornés.

En se peignant le corps avec ces motifs ou en les reproduisant sur des masques, les indiens cherchent à se faire reconnaître comme des congénères par les esprits et les animaux dont ils veulent s’assurer le concours. Ces peintures corporelles et ces masques servent ainsi de tenue de camouflage pour se faire passer pour des membres d’autres espèces.

 Des pense-bêtes

Pour être bon chasseur, il est nécessaire de garder le gibier à l’esprit et de penser sans cesse aux relations que l’on entretien avec lui. Des masques yup’ik et des dessins inuit contemporains illustrent bien ce rapport du chasseur au gibier : ils figurent les animaux à la périphérie du champ visuel.

Les figurines miniatures d’animaux, sont un autre moyen de parvenir à cette fin : les manipuler dans la main, c’est évoquer l’image du gibier dans sa tête. Ces effigies peuvent être considérées comme de véritables « pense-bêtes » qui servent à maintenir la relation avec l’esprit du gibier dont la générosité assure aux humains un approvisionnement régulier en viandes.

 Emprunter le corps des animaux

Les indiens d’Amazonie ne s’intéressent guère à la figuration réaliste des corps. Ils s’attachent plutôt à transformer les corps humains eux-mêmes en images, en prélevant des attributs et des motifs sur les animaux.

Arborer des plumes, des crocs, des griffes, des élytres ou des écailles ne relève pas de la simple ornementation : cela permet aux humains de capter à leur profit les aptitudes que les espèces animales possèdent grâce à leur physique particulier. Par ce biais ils cherchent à retrouver les aptitudes qu’ils ont eux-mêmes perdues lorsque les personnes animales et les personnes humaines ont été séparées. Les mythes racontent en effet que tous les êtres vivants avaient à l’origine un même type de corps, conçu par analogie avec celui des humains, mais combinaient l’ensemble des capacités aujourd’hui réparties entre les différentes espèces.

 

Un monde objectif  (Naturalisme)

 La vision du monde du naturalisme inverse celle de l’animisme. Ce n’est pas par leur corps, mais par leur esprit que les humains se différentient des non-humains. C’est aussi par des idées et des valeurs partagées qu’ils se différentient entre eux comme membres de cultures distinctes. Quant à la part physique des humains, elle est régie par les mêmes lois que celles des autres organismes, ou même des objets inorganiques; elle ne fait donc pas des hommes une espèce à part.

Née en Europe il y a quelques siècles à peine, cette façon de voir se traduit par des images où l’on figure à la fois la subjectivité particulière à chaque humain et la continuité physique des êtres et des choses dans l’espace. Au fil du temps toutefois, notamment avec la photographie scientifique, l’intériorité humaine finit par s’effacer des images; elle devient, elle aussi, un paramètre physique, une simple expression de mécanismes biologiques.

 La beauté du quotidien

 En hollande au XVIIème siècle, nait une peinture de genre qui confère au monde matériel et à sa banalité une beauté paisible et une dignité que personne auparavant n’avait montré ainsi. Le quotidien prend le pas sur le sublime, le mystère s’exprime désormais dans l’ordinaire de la vie. La subjectivité des humains est alors dépeinte dans des situations qui ne relèvent plus de l’histoire commune aux cultures chrétiennes, mais d’un environnement moral, plus complexe à déchiffrer.

La part d’obscurité et d’ambiguïté de ces citadins tranquilles montre que l’intériorité n’a pas disparu, mais elle semble s’atténuer au profit de la rencontre visible des subjectivités dans le réseau des relations ainsi dépeint. On retrouve cette tendresse pour le réel dans les paysages et les natures mortes où le temps est suspendu, le souci de fidélité aux choses, l’emporte sur les contraintes esthétiques et religieuses héritées du passé.

 Le naturalisme en marche

La libération progressive de l’image à l’égard des canons du beau et des significations symboliques se traduit au 18éme siècle par un clivage entre deux manières de représenter le corps humain : d’un côté, les peintres « galants » - Watteau, Boucher, Fragonard – dépeignent les jeux de l’amour et du sentiment dans une quête de l’idéal et du style. De l’autre côté, une foule obscure de mécaniciens,  d’anatomistes, d’illustrateurs, à la suite de Descartes et de La Mettrie, s’emploient à construire des automates pour émuler la vie, à fabriquer des écorchés par dévoiler la part physique des humains, à reproduire avec exactitude la flore et la faune des contrées lointaines. En étant fidèles à la nature, ils s’émancipent d’une certaine représentation de l’intériorité au profit d’un ensemble de paramètres intelligibles parce que figurables.

 Le monde physique en soi et pour soi

Au cours des deux derniers siècles, l’idéal du beau canonique de la renaissance ne rencontre plus la scène artistique que par éclipses. Avec le développement de la photographie, avec les impressionnistes, l’image cesse d’être l’expression d’un modèle pour se muer en une trace sensible. Les techniques de capture et de reproduction des dimensions auparavant invisibles de la matérialité corporelle (la chronophotographie, les rayons X, l’imagerie par résonance magnétique) amplifient l’impression que l’intériorité s’est absenté du corps humain. Après six siècles d’expérimentation avec les images, le naturalisme est sur le point, en matérialisant l’esprit, de réduire l’une de ses deux dimensions à l’autre. L’ineffable est devenu figurable, comme une empreinte et non plus comme un succédané.

Un monde subdivisé (Totémisme)

 En Australie, comme dans d’autres parties du monde où prédomine une pensée totémique, des groupes d’humains et de non humains partages des ensemble de qualités physique et morales qui transcendent la barrière des espèces. Chacun de ces groupes rassemble des hommes, des plantes et des animaux dont les formes diffèrent, mais qui ont une même nature en commun car ils sont issus d’un même prototype originel, le « totem ».

Ainsi les membres d’un groupe totémique seront-ils dits « souples », « lents », « massifs », « à sang chaud », tandis que les membres d’un autre seront dits « anguleux », ‘rapides », « élancés », « à sang froid ».

En Australie, les totems ont jadis engendré les différentes catégories d’êtres et les classifications qui les organisent. Ils ont mis en ordre le monde et façonné le paysage. Ce temps des origines est appelé le « temps du rêve ». Toutes les images des aborigènes font référence à ces totems, les « êtres du rêve », soit en les figurant directement, soit en figurant le résultat de leurs actions.

 L’ordre en train de se faire

Les Yolngu du nord-est de la terre d’Arnhem en Australie peignent sur des écorces des séquences de récits qui relatent les aventures des êtres totémiques au temps du Rêve. Les êtres du Rêve sont généralement figurés sous une forme animale ou végétale, tandis que les motifs peints sur les écorces, représentent les éléments du site géographique où se sont déroulés ces évènements.

Ces images retracent ainsi le trajet suivi par les êtres totémiques au cours de leur péripéties. Chaque peinture figure à la fois un évènement fondateur, ses protagonistes, la genèse d’un site précis, une carte schématisant ce lieu, ainsi qu’une sorte de blason. L’ensemble témoigne du lien profond entre un groupe totémique, un site géographique et une genèse ontologique. Les écorces peintes des Yolngu sont ainsi l’expression visible de l’ordre totémique en train de se faire.

 L’ordre incorporé dans les êtres

Contrairement aux Yolngu, les Kunwinjku et leurs voisins de la partie occidentale de la terre d’Arnhem ne représentent pas toutes les circonstances de l’évènement donnant naissance à l’ordre totémique. Leurs peintures figurent seulement l’être du Rêve à la source de cet ordre, en supprimant tout contexte et toute action.

Représenté sur un fond uni, l’être totémique est parfaitement immobile, tandis que son squelette et ses organes internes sont minutieusement dépeints. Son anatomie interne est en effet le modèle de l’ordre social et de l’ordre cosmique. Ces images manifestent ainsi que l’organisation totémique intemporelle s’est déployée à partir du corps même de l’être du Rêve.

 L’ordre incorporé dans les lieux

Les peintures sur toiles des aborigènes de désert central prolongent une riche tradition qui s’exprimait autrefois sur des supports plus éphémères, tels que des dessins sur le sable. Ces peintures pointillistes figurent les itinéraires suivis par les êtres totémiques au temps du Rêve.

Contrairement aux peintures des peuples de la terre d’Arnhem, les êtres du rêve n’apparaissent cependant jamais directement sur les images. Celles-ci représentent seulement les empreintes qu’ils ont laissées dans le paysage au cours de leur trajet : elles montrent ainsi un fond sans figure. A travers ces peintures, les peuples de désert central rendent visible l’organisation totémique intemporelle telle qu’elle s’est manifestée dans un lieu.

 Le mirage des ressemblances

Des images dépeignant des choses semblables en apparence ne renvoient pas nécessairement aux mêmes propriétés invisibles de la réalité. Les classer selon leurs seules caractéristiques formelles – genre, sujet, support, facture – ne révèle rien des circonstances dans lesquelles et pour lesquelles on les a fait ni des conventions figuratives auxquelles obéissent leurs producteurs.

Un paysage, un masque, un portrait, une peinture corporelle n’ont pas de signification universelle et n’exercent pas les mêmes effets selon les lieux et les époques. Il suffit pour s’en apercevoir de regarder deux à deux des images qui se ressemblent et qui ne s’assemblent pourtant pas.

Un monde enchevêtré  (Analogisme)

 Porter sur le monde un regard analogiste, c’est d’abord percevoir tous les êtres et leurs éléments constitutifs comme différents les uns des autres. Mais c’est aussi tenter de trouver entre eux des correspondances, afin d’apaiser le sentiment de désordre qui résulte de cette prolifération d’entités disparates. En effet un monde où chaque entité forme un spécimen unique deviendrait vite invivable, si l’on ne s’efforçait de détecter des relations stables entre ses composantes humaines et non humaines, comme entre les parties dont elles sont faites.

Par exemple, certaines choses seront associées au cheval et d’autres au froid, certains au jour et d’autres à la nuit, certaines au sec, d’autres à l’humide. Figurer cela, c’est donner à voir que les êtres et les choses sont hétérogènes, mais qu’il est toujours possible d’associer ces singularités. Cela passe par différents mécanismes visuels qui permettent de représenter des agrégats cohérents, des réseaux spatiaux et temporels, des correspondances de niveaux et d’échelles.

 Réplique et englobement

Un dispositif classique de la vision du monde analogique est la répétition d’un même élément à plusieurs niveaux d’enchâssement. Une structure ou un motif est répliqué à des échelles différentes, engendrant un objet « fractal » à l’image des cristaux de neige. La répétition et l’accumulation, en abolissant l’idée de hasard, donnent une impression de régularité et l’ordre hiérarchique propre à suggérer l’idée d’un réseau de relations.

 Figurer les réseaux

Rendre visibles de petits écarts entre des éléments hétérogènes exige que chacun de ces éléments soit perçu à la fois comme différent de tous les autres et comme une partie d’un tout cohérant.

C’est donc l’ensemble des objets entre lesquels existe une affinité qui est donné à voir, et non chaque objet pris isolément. Ces éléments sont associés en réseau au sein d’un espace bien délimité où ils sont traités de façon semblable.

 Macrocosme et microcosme

La pensée analogique décline des correspondances entre le macrocosme et le microcosme. C'est-à-dire entre l’univers de la personne humaine vue comme un monde en miniature. Ce moyen permet de limiter la prolifération des signes en concentrant leur principe de déchiffrement dans un être privilégié : l’homme. Ces résonnances entre le monde et la personne humaine servent également à prévoir et à interpréter le destin. La figuration est centrée sur le corps qui devient le gabarit du cosmos ou le réceptacle de ce qu’il contient. On peut représenter ces correspondances en partant d’une image du corps reliée au monde, soit d’une image du monde reflétant le corps, soit d’une image du chemin qui mène de l’un à l’autre.

 Les êtres composites

La chimère est la figure classique de l’analogisme : il s’agit d’un être composé d’attributs appartenant à des espèces différentes, mais présentant une certaine cohérence sur le plan anatomique. Cet hybride réunit dans un être singulier des éléments constitutifs qui proviennent de registres hétérogènes. Pour que cet agrégat de qualités apparaisse plausible, il faut que chacune d’entre elle soit identifiable dans un élément anatomique : dans l’héraldique européenne, le griffon combine ainsi un corps de lion, symbole de vaillance, et une tête d’aigle, symbole de pouvoir victorieux. Il faut aussi que la combinaison de ces éléments parvienne à donner l’illusion de la vie sous la forme d’un organisme capable d’action autonome.

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