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Point de vue de
Philippe Descola (noir et blanc)
Commentaire de Philippe Descola au musée du quai Branly 2009: Un monde
animé (Animisme) Sur tout le territoire de l’animisme, dans les forêts d’Amazonie et
d’Insulinde, dans la taïga et la toundra d’Amérique du Nord et de Sibérie, les animaux, les plantes, les esprits ont une « âme
» comme les humains. On dit qu’ils vivent en société, chacun avec sa «
culture » propre. Cette culture dépend du point de vue que chaque espèce porte
sur les autres en fonction du type de corps qu’elle possède. Le mode perçu et
utilisé par le toucan n’est pas celui du piranha, qui n’est pas celui du
serpent, du jaguar ou de tel ou tel groupe humain. Ainsi, chaque espèce se distingue des autres sur
le plan physique, non sur le plan moral : elle se différencie par ce qu’elle
peut faire, et non par ce qu’elle peut penser. De ce fait, les parures, les
armes et les vêtements distinctifs des diverses tribus d’humains sont vus comme
des attributs « naturels », analogues aux corps des plantes et des animaux. Figurer un tel monde, c’est montrer que la plupart des êtres ont une intériorité semblable, mais qu’ils
habitent des corps aux capacités bien différentes. L’âme des bêtes Un façon simple de figurer l’intériorité des animaux, c’est de combiner un
visage humain avec une face animale. Le visage humain figure la subjectivité
commune à la plupart des êtres, tandis que la face animale indique l’identité
propre à chaque espèce. C’est ce que font par exemple les masques d’esprits animaux des Yupiit
d’Alaska. Leurs voisins Inuits et les tchouktches de Sibérie ont choisi, quant
à eux, de figurer l’âme par un changement d’échelle : les esprits des animaux
sont représentés par de minuscules effigies en ivoire de morse. L’intériorité
d’un animal, c’est ainsi l’image de son corps en miniature. Ce modèle réduit
n’est pas conçu comme une simple copie de l’être qu’il représente, mais au
contraire, comme son prototype même. Se camoufler en esprit Les peintures corporelles et les masques costumes arborés par les Indiens
d’Amazonie sont une autre façon d’emprunter
l’image des non-humains. Les animaux et les esprits sont censés se voir
eux-mêmes comme des humains et ne peuvent alors se distinguer les uns des
autres qu’aux moyens des motifs particuliers dont ils sont ornés. En se peignant le corps avec ces motifs ou en les reproduisant sur des
masques, les indiens cherchent à se faire reconnaître comme des congénères par les esprits et les animaux dont
ils veulent s’assurer le concours. Ces peintures corporelles et ces masques
servent ainsi de tenue de camouflage pour se faire passer pour des membres
d’autres espèces. Des pense-bêtes Pour être bon chasseur, il est nécessaire de garder le gibier à l’esprit et
de penser sans cesse aux relations que l’on entretien avec lui. Des masques
yup’ik et des dessins inuit contemporains illustrent bien ce rapport du
chasseur au gibier : ils figurent les animaux à la périphérie du champ visuel. Les figurines miniatures d’animaux, sont un autre moyen de parvenir à cette
fin : les manipuler dans la main, c’est évoquer l’image du gibier dans sa tête.
Ces effigies peuvent être considérées comme de véritables « pense-bêtes » qui
servent à maintenir la relation avec l’esprit du gibier dont la générosité
assure aux humains un approvisionnement régulier en viandes. Emprunter le corps des
animaux Les indiens d’Amazonie ne s’intéressent
guère à la figuration réaliste des corps. Ils s’attachent plutôt à transformer les corps humains eux-mêmes en images,
en prélevant des attributs et des motifs sur les animaux. Arborer des plumes, des crocs, des griffes, des élytres ou des écailles ne
relève pas de la simple ornementation : cela permet aux humains de capter à
leur profit les aptitudes que les espèces animales possèdent grâce à leur
physique particulier. Par ce biais ils cherchent à retrouver les aptitudes
qu’ils ont eux-mêmes perdues lorsque les personnes animales et les personnes
humaines ont été séparées. Les mythes racontent
en effet que tous les êtres vivants avaient à l’origine un même type de corps,
conçu par analogie avec celui des humains, mais
combinaient l’ensemble des capacités aujourd’hui réparties entre les
différentes espèces.
Un monde objectif (Naturalisme) La vision du monde du naturalisme inverse
celle de l’animisme. Ce n’est pas par
leur corps, mais par leur esprit que les humains se différentient des
non-humains. C’est aussi par des idées et des valeurs partagées qu’ils
se différentient entre eux comme membres de cultures distinctes. Quant à la
part physique des humains, elle est régie par les mêmes lois que celles des
autres organismes, ou même des objets inorganiques; elle ne fait donc pas des
hommes une espèce à part. Née en Europe il y a quelques siècles à peine, cette façon de voir se
traduit par des images où l’on figure à la fois la subjectivité particulière à
chaque humain et la continuité physique des êtres et des choses dans l’espace.
Au fil du temps toutefois, notamment avec la photographie scientifique,
l’intériorité humaine finit par s’effacer des images; elle devient, elle aussi,
un paramètre physique, une simple expression de mécanismes biologiques. La beauté du quotidien En hollande au XVIIème siècle, nait une peinture de genre qui confère
au monde matériel et à sa banalité une beauté paisible et une dignité que
personne auparavant n’avait montré ainsi. Le
quotidien prend le pas sur le sublime, le mystère s’exprime désormais
dans l’ordinaire de la vie. La subjectivité
des humains est alors dépeinte dans des situations qui ne relèvent plus de
l’histoire commune aux cultures chrétiennes, mais d’un environnement moral,
plus complexe à déchiffrer. La part d’obscurité et d’ambiguïté
de ces citadins tranquilles montre que l’intériorité
n’a pas disparu, mais elle semble s’atténuer au profit de la rencontre visible
des subjectivités dans le réseau des relations ainsi dépeint. On retrouve cette
tendresse pour le réel dans les paysages et les natures mortes où le temps est
suspendu, le souci de fidélité aux choses, l’emporte sur les contraintes
esthétiques et religieuses héritées du passé. Le naturalisme en marche La libération progressive de l’image à l’égard des canons du beau et des
significations symboliques se traduit au 18éme siècle par un clivage entre deux
manières de représenter le corps humain : d’un côté, les peintres « galants » -
Watteau, Boucher, Fragonard – dépeignent les jeux de l’amour et du sentiment
dans une quête de l’idéal et du style. De l’autre côté, une foule obscure de
mécaniciens, d’anatomistes, d’illustrateurs, à la suite de Descartes et
de La Mettrie, s’emploient à construire des automates pour émuler la vie, à
fabriquer des écorchés par dévoiler la part physique des humains, à reproduire
avec exactitude la flore et la faune des contrées lointaines. En étant fidèles
à la nature, ils s’émancipent d’une certaine représentation de l’intériorité au
profit d’un ensemble de paramètres intelligibles parce que figurables. Le monde physique en soi
et pour soi Au cours des deux derniers siècles, l’idéal du beau canonique de la
renaissance ne rencontre plus la scène artistique que par éclipses. Avec le
développement de la photographie, avec les impressionnistes, l’image cesse d’être l’expression d’un modèle pour se
muer en une trace sensible. Les techniques de capture et de reproduction
des dimensions auparavant invisibles de la matérialité corporelle (la
chronophotographie, les rayons X, l’imagerie par résonance magnétique) amplifient l’impression que l’intériorité s’est
absenté du corps humain. Après six siècles d’expérimentation avec les
images, le naturalisme est sur le point, en
matérialisant l’esprit, de réduire l’une de ses deux dimensions à
l’autre. L’ineffable est devenu figurable, comme une empreinte et non plus
comme un succédané. Un monde subdivisé
(Totémisme) En Australie, comme dans d’autres parties du monde où prédomine une
pensée totémique, des groupes d’humains et de
non humains partages des ensemble de qualités physique et morales qui
transcendent la barrière des espèces. Chacun de ces groupes rassemble
des hommes, des plantes et des animaux dont les formes diffèrent, mais qui ont
une même nature en commun car ils sont issus d’un même
prototype originel, le « totem ». Ainsi les membres d’un groupe totémique seront-ils dits « souples », «
lents », « massifs », « à sang chaud », tandis que les membres d’un autre
seront dits « anguleux », ‘rapides », « élancés », « à sang froid ». En Australie, les totems ont jadis engendré les différentes catégories d’êtres
et les classifications qui les organisent. Ils
ont mis en ordre le monde et façonné le paysage. Ce temps des origines est
appelé le « temps du rêve ». Toutes les images des aborigènes font
référence à ces totems, les « êtres du rêve », soit en les figurant
directement, soit en figurant le résultat de leurs actions. L’ordre en train de se faire Les Yolngu du nord-est de la terre d’Arnhem en Australie peignent sur des
écorces des séquences de récits qui relatent les aventures des êtres totémiques
au temps du Rêve. Les êtres du Rêve sont généralement figurés sous une forme
animale ou végétale, tandis que les motifs peints sur les écorces, représentent
les éléments du site géographique où se sont déroulés ces évènements. Ces images retracent ainsi le trajet suivi par les êtres totémiques au
cours de leur péripéties. Chaque peinture figure à la fois un évènement
fondateur, ses protagonistes, la genèse d’un site précis, une carte
schématisant ce lieu, ainsi qu’une sorte de blason. L’ensemble témoigne du lien
profond entre un groupe totémique, un site géographique et une genèse
ontologique. Les écorces peintes des Yolngu sont ainsi l’expression visible de
l’ordre totémique en train de se faire. L’ordre incorporé dans les
êtres Contrairement aux Yolngu, les Kunwinjku et leurs voisins de la partie
occidentale de la terre d’Arnhem ne représentent pas toutes les circonstances
de l’évènement donnant naissance à l’ordre totémique. Leurs peintures figurent
seulement l’être du Rêve à la source de cet ordre, en supprimant tout contexte
et toute action. Représenté sur un fond uni, l’être totémique est parfaitement immobile,
tandis que son squelette et ses organes internes sont minutieusement dépeints. Son anatomie interne est en effet le modèle de l’ordre social et de l’ordre cosmique.
Ces images manifestent ainsi que l’organisation totémique intemporelle s’est
déployée à partir du corps même de l’être du Rêve. L’ordre incorporé dans les
lieux Les peintures sur toiles des aborigènes de désert central prolongent une
riche tradition qui s’exprimait autrefois sur des supports plus éphémères, tels
que des dessins sur le sable. Ces peintures pointillistes figurent les
itinéraires suivis par les êtres totémiques au temps du Rêve. Contrairement aux peintures des peuples de la terre d’Arnhem, les êtres du
rêve n’apparaissent cependant jamais directement sur les images. Celles-ci
représentent seulement les empreintes qu’ils ont laissées dans le paysage au
cours de leur trajet : elles montrent ainsi un fond sans figure. A travers ces
peintures, les peuples de désert central rendent visible l’organisation
totémique intemporelle telle qu’elle s’est manifestée dans un lieu. Le mirage des
ressemblances Des images dépeignant des choses semblables en apparence ne renvoient pas
nécessairement aux mêmes propriétés invisibles de la réalité. Les classer selon
leurs seules caractéristiques formelles – genre, sujet, support, facture – ne
révèle rien des circonstances dans lesquelles et pour lesquelles on les a fait
ni des conventions figuratives auxquelles obéissent leurs producteurs. Un paysage, un masque, un portrait, une peinture corporelle n’ont pas de signification universelle et n’exercent pas les mêmes effets selon les lieux et les époques. Il suffit pour s’en apercevoir de regarder deux à deux des images qui se ressemblent et qui ne s’assemblent pourtant pas. Un monde
enchevêtré (Analogisme) Porter sur le monde un regard
analogiste, c’est d’abord percevoir tous les êtres et leurs éléments
constitutifs comme différents les uns des autres. Mais c’est aussi tenter de
trouver entre eux des correspondances, afin d’apaiser le sentiment de désordre
qui résulte de cette prolifération d’entités disparates. En effet un
monde où chaque entité forme un spécimen unique deviendrait vite invivable, si
l’on ne s’efforçait de détecter des relations
stables entre ses composantes humaines et non humaines, comme entre les
parties dont elles sont faites. Par exemple, certaines choses seront associées au cheval et d’autres au
froid, certains au jour et d’autres à la nuit, certaines au sec, d’autres à
l’humide. Figurer cela, c’est donner à voir que les êtres et les choses sont
hétérogènes, mais qu’il est toujours possible d’associer ces singularités. Cela
passe par différents mécanismes visuels qui permettent de représenter des
agrégats cohérents, des réseaux spatiaux et temporels, des correspondances de
niveaux et d’échelles. Réplique et englobement Un dispositif classique de la vision du monde analogique est la répétition
d’un même élément à plusieurs niveaux d’enchâssement. Une structure ou un motif
est répliqué à des échelles différentes, engendrant un objet « fractal » à l’image des cristaux de neige.
La répétition et l’accumulation, en abolissant
l’idée de hasard, donnent une impression de régularité et l’ordre hiérarchique
propre à suggérer l’idée d’un réseau de relations. Figurer les réseaux Rendre visibles de petits écarts entre des éléments hétérogènes exige que
chacun de ces éléments soit perçu à la fois comme différent de tous les autres
et comme une partie d’un tout cohérant. C’est donc l’ensemble des objets entre lesquels existe une affinité qui est
donné à voir, et non chaque objet pris isolément. Ces éléments sont associés en
réseau au sein d’un espace bien délimité où ils sont traités de façon
semblable. Macrocosme et microcosme La pensée analogique décline des correspondances entre le macrocosme et le
microcosme. C'est-à-dire entre l’univers de la personne humaine vue comme un
monde en miniature. Ce moyen permet de limiter la prolifération des signes en
concentrant leur principe de déchiffrement dans un être privilégié : l’homme.
Ces résonnances entre le monde et la personne humaine servent également à prévoir et à interpréter le destin. La
figuration est centrée sur le corps qui devient le gabarit du cosmos ou le
réceptacle de ce qu’il contient. On peut représenter ces correspondances en
partant d’une image du corps reliée au monde, soit d’une image du monde
reflétant le corps, soit d’une image du chemin qui mène de l’un à l’autre. Les êtres composites La chimère est la figure classique
de l’analogisme : il s’agit d’un être composé d’attributs appartenant à des
espèces différentes, mais présentant une certaine cohérence sur le plan
anatomique. Cet hybride réunit dans un être singulier des éléments constitutifs
qui proviennent de registres hétérogènes. Pour que cet agrégat de qualités
apparaisse plausible, il faut que chacune d’entre elle soit identifiable dans
un élément anatomique : dans l’héraldique européenne, le griffon combine ainsi
un corps de lion, symbole de vaillance, et une tête d’aigle, symbole de pouvoir
victorieux. Il faut aussi que la combinaison de ces éléments parvienne à donner
l’illusion de la vie sous la forme d’un organisme capable d’action autonome. |
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