a question comporte une amphibologie qui
lui répond partiellement : On pourrait vouloir contester le nom du
père en tant que le contester, c’est le faire exister comme tel. Et on peut vouloir contester sinon son
existence, du moins son caractère d’universalité, problématique qui nous
renvoie à tout un questionnement dont Kant reste à mon sens le déterminant le
plus actif. En fait je démarre déjà mal le problème
puisque je mêle d’emblée en un même propos le nom du père et la fonction que
son existence garantit quelque part (je ne dit pas qu’il garantit pour éviter
tomber dans la même indétermination amphibologique). On pourrait penser que ce sont des
théoriciens (car ce sont des théoriciens) comme Deleuze et Guattari qui ont
réalisé l’acmé de ce que le rejet de la fonction paternelle aura pu susciter
dans le monde « moderne », réalisant ainsi la condition du
« post-modernisme ». Lacan est-il un « post
moderne » : Voilà une façon plus « dans le coup » de
formuler ma question. On pourrait encore dire : Que faire du
freudo-marxisme? Et puis surtout il gît dans ces
interrogations le problème de la forclusion. J’ai parlé de rejet.
n père, ça se rejette (une mère aussi
d’ailleurs). On peut rejeter son corps (toujours trop
vieux et trop grand ou trop petit), sa voix (toujours trop présente ou
absente), son existence (toujours encombrante ou manquante), son concept (trop
présomptueux), sa fonction (éternellement interdictrice), son odeur (forcément
troublante), ses idées (jamais libre pour moi), son fric (toujours reproché
dans un autre monde), sa peau (inéluctablement gênante), sa sincérité (sujette
à caution), son savoir (inconditionnellement louche), … j’arrête là
l’énumération. Mais d’un autre côté c’est toujours délicat
de rejeter un père (ou une mère). On ne fait pas
d’ « hommelette » sans casser des œufs. J’emploi sciemment le
néologisme lacanien. Il y a du dégât à exister en tant que
sujet, que moi, que singularité, qu’individu, n’en déplaise à Michel Onfray.
C’est sans doute là le message de la psychanalyse. C’est en tout cas la
traduction du fait qu’elle puisse réaliser dans le monde un mode de savoir
aussi génial, en ayant un père aussi faux-jeton. Il y a décidément une question centrale
pour nous modernes autour de l’existence de la psychanalyse et de son
bien-fondé. Ou ne serait-ce pas plutôt autour du concept d’inconscient. C’est
le concept d’absence de concept. Même les stoïciens ne se sont pas attaqués à
ça. C’est chaud.
ue faire de nos vieux parents et de notre
vieille République. Ceux qui ont des jeunes Républiques comme
Freud avait une jeune maman ne sont pas confrontés à ça. Ils ont d’autres
problèmes. Qu’est-ce donc du mythe des origines qui me
fonde ou m’encombre à exister en tant que singularité, en tant
qu’ « homme libre »? (Je ne parle pas des femmes.) Que puis-je dire de ceux auxquels je dois
ma liberté si j’en ai une? Comment peut-on tordre le cou à la question
de l’autorité? Cette question, on peut ne pas la poser et
aller de l’avant : c’est ce que les post modernes partagent avec les freudo-marxistes
et avec Onfray, mais aussi avec la philosophie analytique et le néo-puritanisme
anglo-saxon. Encore qu’il y ait aussi dans ce monde là une ligne de fracture
entre ceux qui rejette la cause pour sauver l’effet en la méprisant (les
premiers) et ceux qui la rejette en la sanctifiant (la dernière). Par exemple
pour cette dernière, Bush invoquant Dieu pour aller faire la guerre en Iraq.
ous nous croyons libres parce que nous ignorons les causes
qui nous déterminent, disait Spinoza. N’est-ce pas que nous le sommes
dans ces circonstances? Si ma liberté ne me vient que de
l’émancipation, quelle opération se joue dans ce rapport ou plutôt dans cette
destruction de rapport? Curieusement le terme d’émancipation
(fortement relancé par Marx me semble-t il) caractérise aussi bien le
détachement réalisé entre le maître et l’esclave que celui à l’œuvre entre le
parent et l’enfant. On pourrait aussi parler du salarié et de
son employeur et interroger la fonction émancipante de la retraite. Quoiqu’il en soit la question que je
souhaite soulever ici est celle de la formule « complète », ou en
tout cas de la formule qui a le plus durablement figé cette problématique en un
dogme, et donc en une pratique d’autorité, et ici d’autorité de la psychanalyse :
je veux dire la « Forclusion du nom du père ». Que chacun se prosterne. Nous rentrons ici dans le forclore
lacanien. C’est forclorique. Et le plus bizarre, c’est qu’on y va sans
avoir jamais interrogé les conditions d’un refoulement collectif (ou les
conditions collectives du refoulement). Nous sommes les détenteurs de la
connaissance néo-post-moderne du concept de refoulement et nous méprisons les
théoriciens du refoulement collectif de droite comme de gauche, et nous
établissons, nous qui pensons qu’il n’y a pas de métalangage, le concept de
refoulement du refoulement. Et en plus ça se passe à l’école de la cause. Nous
somme bien dans le plus pur héritage du surréalisme.
-a-t-il deux sortes de refoulement, ou
plusieurs, ou une seule? Voilà une question refoulée. Alors où faut-il situer un nid pour la
conscience du monde moderne entre Lacan et Onfray. C’est « forclorique » ou c’est « onfrayant ». Il n’en reste pas moins que la fonction
paternelle insiste, même dans la toile rhizomatique hyper-émancipée de la
nouvelle gouvernance mondiale.
Y-a-t-il une « nouvelle morale »
ou des « nouvelles morales »? Et si oui, à quelle conditions sont-elles
supportables? Quels refoulements exige le savoir? « Comment puis-je savoir ? » Je renvoie à ma bouée de sauvetage
topologique.
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