Désir de conquête.
Désir de partage.
Pour la vie comme pour la mort, en société
(ou en « amour ») comme à la guerre, on conquiert avec des armes, ou
avec un phallus, symbolique ou imaginaire; jamais réel. On se fabrique ainsi
des objets.
Pour la pensée comme pour le plaisir, dans
le soin de soi comme dans celui des autres, on partage avec des concepts, ou
avec des idées, symboliques ou imaginaires; jamais réelles. On fabrique ainsi
des concepts.
L’idée sous-tendue par ces phrases est
bien-sûre entre autres celle de la fonction guerrière du concept.
Peut-on faire la guerre avec des concepts?
Y-a-t-il une guerre des concepts?
Une certaine vision pourrait le laisser
penser.
Aujourd’hui je n’en suis pas si sûr.
On a fait beaucoup de glose sur la fonction
néfaste du « marché » ou « des marchés », en tout cas dans
la France intellectuelle des années Mitterrand. Pas Mitterrand par contre. On
l’a considéré comme une machine de guerre et d’annexion généralisée de tous par
tous prolongeant la guerre de tous contre tous qu’avait dénoncé (sans la
déconseiller) Hobbes.
Le marché est certainement un marché des
objets, mais aussi bien il est un marché des concepts.
Et comment donc le marché pourrait-il ne
pas constituer une machine de guerre. L’amour est aussi une machine de guerre.
Et peut être tout aussi malhonnête que la guerre.
On peut peut-être concevoir un marché
respectueux de ses protagonistes.
C’est aussi la question des guerres justes
et injustes.
Le parti, comme disait Mao, approuve les
guerres justes et pas les guerres injustes.
Ce concept de guerre juste me semble tout
aussi problématique, à tous les sens du terme, que celui de marché respectueux
des acteurs.
Les guerres justes sont les guerres de
défense.
Les guerres injustes sont les guerres
d’annexion.
Il y a d’ailleurs aussi l’amour juste et
l’amour injuste. Et dans la même définition.
Je ne suis pas du tout d’accord avec cette
vision critique de la guerre qu’accompagne souvent un certain projet nietzschéen
de grandeur, avec l’idée politique de révolution, avec le fétichisme de la
subversion, devenu tarte à la crème de ceux qui ne bougent que dans le sens de
leur intérêt bien compris.
Essayons de
structurer ce propos :
Concepts (symbolique)
|
affects
|
prothèses
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« sujet »
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machines
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outils
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Objet (imaginaire)
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Ce schéma n’est pas orienté
verticalement. C’est un commentaire des objets-concepts-concepts-objets
(OCCO)
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Désir de partage.
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Travail en tant que concept.
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synthèse
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perplexité
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analyse
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Travail en tant qu’objet.
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Désir de conquête.
|
L’OCCO, c’est ce
qu’un sujet peut « penser ».
Il y a tout à
attendre ici des Marx, Proudhon et consort, quant à une réflexion sur la
propriété privée.
De quoi la propriété
privée est elle la propriété privée?
Les concepts
rentrent-ils vraiment dans le cadre de la propriété privée?
Suis-je
propriétaire de mes concepts? Ai un droit à les appeler « mes
concepts »?
Le droit est-il lui-même pour moi comme une propriété sur
autrui?
Le concept peut-il
servir à asservir?
Le concept est-il
un instrument de production?
Kant nous dit
grosso modo : « l’analyse vise à produire des concepts et la synthèse
vise à produire des objets ». Plus précisément « rendre
distincts les concepts » et « rendre distincts les objets». Et la
nuance doit avoir son importance.
Produire et rendre
distinct doivent avoir quelque chose de différent. En rendant distinct les uns
ou les autres, je m’approprie la possibilité d’en parler. Je m’approprie la
parole sur ce concept ou sur cet objet.
Je ne le produit
pas en tant que tel.
Distinguer n’est
pas produire. Mais « rendre distinct » produit tout à coup et à tout
coup quelque effet. Il faudrait savoir le sens des mots en Allemand.
Il n’y a pas de
connaissance sans parole. Et il n’y a pas de science sans parole. Pas de
mathématique ni de mathesis. Les triangles sont des objets de description, et
des concepts de science géométrique.
La science n’existe
pas sans son discours. Kant voulait qu’ils existassent comme noumènes avant
même que je commence à les présenter dans la pensée. Que m’importe la chose en
soi si je n’y pense pas.
Mais peut-on faire de l’analyse avec des objets?
Et ces questions étant toujours amphibologiques, on comprendra que cela
interroge l’analyse des objets en tant qu’objets, et l’analyse au moyen des
objets en tant qu’outils.
Peut-on rendre
distincts les objets en tant qu’objets, avec des objets?
Et peut-on faire de la synthèse avec des
concepts? Sachant que le même problème se pose, ce qui fait que les choses
se corsent : peut-on faire une synthèse en utilisant des concepts comme
outils? Et ça, on peut le penser. On n’arrête d’ailleurs pas de le prétendre.
Et ça ne s’appelle pas une conclusion, ça s’appelle l’imagination. Une synthèse
n’est pas une conclusion, c’est la naissance d’un objet-concept ou d’un
concept-objet.
Mais peut-on faire une
synthèse en utilisant les concepts comme matériaux? N’est-ce pas précisément le
propre du « jugement synthétique à priori » (ou « a
priori », et la distinction est intéressante)? C’est à la fois plus
délicat parce que c’est faire du concept, un objet, et pourtant ça peut
paraître souhaitable, mais cela nous met dans cette confusion d’avoir affaire à
des hybrides.
On a toujours
intérêt (collectivement!) à analyser les concepts, et les objets, et à se
garder des synthèses rapides.
On ne fait pas de
synthèses sans concepts, comme on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Sans
doute on peut penser qu’on ne peut pas faire de synthèse avec des concepts, car
on ne fait pas d’objet avec des idées. A moins que les idées ne soient des
objets.
On ne fait pas de
synthèses avec des concepts parce qu’on ne fait pas l’amour avec des concepts
(ou alors c’est qu’on n’est pas très bien, mais c’est peut-être fréquent). (Platon)
On ne fait pas
d’analyses avec des objets parce qu’on ne fait pas l’amour avec des objets (ou
alors c’est qu’on est encore moins bien, mais c’est peut-être tout aussi
fréquent). (Sade)
Une illustration de
ces questions métaphysiques se trouve dans l’interrogation sur la méthode du
premier forgeron : avec quoi a-t-il fabriqué son marteau et avec quoi
a-t-il fabriqué son enclume?
Réponse : il
s’est débrouillé. Distinction des concepts et distinction des objets dans le
même temps.
Il m’arrive (par
fainéantise le plus souvent) d’utiliser un gros marteau comme enclume pour me
servir d’un plus petit. Il est certain que le premier marteau n’a pas été fait
à coup d’enclume.
Alors, le marché
est-il du côté des objets où de celui des concepts? Ou partout?
Et faut-il comme à
l’huma le contester et viser dans un idéal béat à le faire disparaître?
Est-ce possible?
Comment peut-on
penser un seul instant aux vertus d’une « révolution »?
Quelle drôle d’idée
que de viser « par principe » une attitude « subversive »!
Qui a parlé de
subversion, Deleuze, ou Guattari? Ou Lacan?
Subversion du
« sujet ». Bien-sûr qu’il manque à mon titre, celui-là!
Où le mettre?
Collons le donc entre les machines et les prothèses. Après tout, il fait le
tampon!
Machine de guerres
et prothèse de soins.
L’intérêt de Kant
(qui est un philosophe désintéressé), c’est d’avoir exploré profondément ces
conditions de possibilité de l’analyse, et d’être resté toujours prudent sur le
chapitre de la synthèse, qui, au fond appartient davantage à l’artiste qu’au
philosophe (l’artiste étant lui-même un objet, esthétique ou non).
Je ne cite pas le
sujet dans le titre, et pour comble de légèreté, je n’y place pas le réel!
Je ne parle pas du
réel sauf pour dire que je n’en parle pas.
S’il existe, il garanti quelque
chose dans l’ordre et les usages de la négation :
voir ici le carré
logique d’Aristote et le double triangle ou hexagone logique de Robert Blanché.
Je laisse donc le
réel dans son coin.
Je dois vraiment
être complètement à côté de mes pompes.
Soit.
Mais il faut
s’entendre.